Après plusieurs années de voyage cinéphile, il m’est arrivé nombre de moments de me retrouver face à des œuvres qui se déjouait des normes esthétiques qui compose une grand partie du cinéma actuel. Attention, pas de discrimination ou pédance, je suis toujours ravi de voir des métrages s’axer sur ces normes, car plus que d’aimer des cases confortables, certains auteurs arrivent à magnifier ces cases et proposer des univers, des idées de mise en scène, une écriture poussée, et j’en passe, pour finalement s’émanciper d’un schéma vu et revu. Cependant, je ne vais pas vous mentir, j’ai toujours un petit intérêt et un certain attrait pour ces films qui tentent d’aller encore plus loin, qui s’éloignent dès leur prémisse des conventions quitte à laisser un nombre plus ou moins conséquent de spectateurs sur le bord de la route. Ces œuvres clivantes, que certains considèrent inaccessibles ou prout-prout, elles me font d’autant plus vibrer car jusqu’au début du générique de fin, impossible d’être sûr de mon appréciation de l’œuvre. Sauf qu’ici, il y a une nuance, même après ce-dit générique, il m’était impossible de mettre des mots sur ce premier long-métrage, tout de même récompensé de la caméra d’or ; et plus que de chercher à en parler, L’Arbre aux papillons d’or m’a gentiment obstiné et m’obstine encore sur son sens ou sa direction artistique. Un voyage de près de trois heures dans la communauté chrétienne vietnamienne, une lente odyssée sensorielle, intime, se décrochant petit à petit de la réalité, voilà un programme qui risque d’en faire fuir plus d’un, et pourtant, promis, le voyage vaut le détour.



Plusieurs mois après avoir découvert L’Arbre aux papillons d’or (et donc alors que j’écris ces lignes), une question subsiste encore, faut-il trop, ou très peu en dire ? En effet, le premier long-métrage de Pham Thien An est à la fois un pur objet d’analyse, bien que très peu appréhendable, et en même temps, nécessite selon moi une certaine surprise afin de vivre le film pour l’analyser ensuite. Car en effet, si le début du métrage laisse à penser que le récit sera linéaire, avec un point A et un point B, très vite, nous arrivons à ce point B et plutôt que de s’arrêter en si bon chemin, le film dérive, devient de plus en plus opaque, mystérieux voir mystique. C’est un bien ambitieux projet, d’autant plus risqué que perdre ainsi le spectateur pourrait très bien s’apparenter à de la complaisance, mais le réalisateur à bien réussi à maintenir mon intention, principalement car avant de disséquer le contenu de L’Arbre aux papillons d’or, d’essayer de comprendre ce qu’on cherche à me raconter, l’on vit le film. Effectivement, le réalisateur créé avec son premier long avant tout une atmosphère, où la lenteur du rythme permet d’apprécier à chaque instant la beauté picturale des plans autant que le travail sonore proprement hallucinant. Dès la première scène, le réalisateur fait durer ses séquences, notamment par des plans-séquence, mais aussi un manque de contexte, un contexte que l’on comprend (souvent à nos dépends) qu’à un point de non-retour, ici quand l’amorce tragique du film vient mettre fin à une séquence en apparence tout à fait banal. Un dispositif narratif pas banal, où les sons d’un salon de massage, les lumières d’un karaoké, le calme d’une route de campagne, la brume encerclant un toit, et j’en passe, bref, ces détails soient captés par le metteur en scène pour offrir une atmosphère où le spleen et le rêve ne sont jamais bien loin. Le résultat en devient proprement hypnotisant et ironiquement stimulant. Plus que d’avoir une simple attitude de poseur, Pham Thien An offre avant tout des images époustouflantes qui marquent la rétine, à la fois dans leur composition mais aussi leur moyen technique. Le metteur en scène parsème en effet son film de plans-séquence, à la durée plus ou moins folle et l’ambition plutôt subtil. Pas de grand appareil de blockbuster, mais toujours une souplesse et même inventivité pour suivre les personnages et amplifier les efforts de mise en scène pour d’autant plus saisir le spectateur par l’atmosphère du métrage. Evidemment le but n'est pas de dynamiser le film, comptant notamment un plan-séquence de 30 minutes n’avançant pas tant l’intrigue que densifiant l’univers graphique et sensoriel de L’Arbre aux papillons d’or, car il est peu dire que si ces initiatives impressionnent d’abord, elles émeuvent très vite ensuite, puis nous plongeant encore plus profondément dans le cœur du film, un mélange de mélancolie et de questionnements intime.


Comme je l’ai écrit plus haut, il me parait difficile d’avoir un avis détaillé et claire de l’Arbre aux papillons d’or dès la sortie de la salle ; aussi car si j’ai jusque-là donné mon ressenti des prouesses artistiques opérées par le métrage, je n’ai pas encore exploré la question de sa narration. En effet, au-delà de son point de départ assez clair, il me parait important de souligner que jusqu’à la dernière séquence, Pham Thien An ne dévoile pas toutes ses cartes esthétiques, mais aussi et surtout narratives. Car si d’apparence, on pourrait bien parler des heures de sa sublime photographie et son cadre hors normes, L’Arbre aux papillons d’or est aussi un pur exercice d’écriture et surtout de narration. Evidemment, par ses longs-plans souvent silencieux, l’écriture du film se fait avant tout par sa mise en scène, qui décrit et permet de ressentir les émotions et enjeux auxquels le metteur en scène cherche à nous confronter ; créant un cadre parfois sur-signifiant et poétique (notamment dans cette maison en construction/ruine, je ne sais plus). Cependant, plus que pour ses dialogues non pas anecdotiques mais secondaires par rapport aux images, la narration du métrage devient de plus en plus dense et démontre une ambition dans l’écriture du film. En effet, arrivé à mi-parcours, l’histoire ne semblait plus réellement avancer et les personnages en rester à un certain statut quo ; à ce moment-là, sans s’en rendre compte, le réalisateur amorçait un changement drastique dans son intrigue. Alors que Pham Thien An filmait jusqu’ici une sorte de récit initiatique, petit à petit, le protagoniste de son histoire se retrouve isolé, les scènes s’enchainent, autant que des rencontres, des retrouvailles, sans qu’on comprenne réellement le fil narratif. Dès lors, L’arbre aux papillons d’or passe de rêverie à rêve éveillé, rarement la sensation de rentrer dans l’inconscient de quelqu’un aura pour moi été aussi forte, sans pour autant pouvoir affirmer (malgré une dernière séquence selon moi équivoque) ce qui est réel, fantasme, imaginaire, etc. En s’écartant de tout liant narratif, le film touche selon moi au sublime, et si toutes les séquences ne sont pas mémorables, elles cachent toutes la même application que précédemment, mais avec une dose de liberté supplémentaire, la sensation de pouvoir voire le film dériver à chaque instant, tomber dans le lyrisme parfois. Puis surtout, la densité de ces séquences passe aussi par sa/ses signification(s) : les personnages qu’on rencontre sont-ils des fantômes ? le personnage essaye-t-il plutôt de se raccrocher au passé cette campagne ? le décor et la nature joue-t-elle un rôle dans ce contexte ? Des questions en apparence hors-sujets, mais qui prenaient un sens tout autre dans le contexte de visionnage, où l’on se perde complètement. C’est par ailleurs une de mes seuls limite avec le film, qui m’a personnellement fait par instants décrocher tellement ce dernier était nébuleux et imprévisible. Ainsi j’aurai du mal à dire si cette seconde moitié est un problème ou la grande réussite du métrage, car bien qu’elle soit plus complexe à appréhender et dure à suivre, elle apparait finalement plus passionnante à disséquer et tout autant exaltante à vivre.


Un dernier point moins consistant que les autres mais pour moi très important, le contexte du film : la communauté chrétienne vietnamienne, et plus largement, la question de la foi en dieu qu’a perdu le personnage principal. Au-delà de son côté « exotique », puisque sur l’ensemble du pays cette communauté est largement minoritaire, je trouve que le réalisateur arrive à dépeindre quelque chose d’universel par rapport à une thématique en apparence refermée sur elle-même. Pour tout vous avouer, j’ai très peu d’affinité avec une quelconque divinité, et les œuvres qui souhaitent me vendre une religion quelle qu’elle soit ne m’ont jamais dans leur poche. Sauf qu’ici, il n’est pas question de faire un portrait autant mélioratif que blasphématoire de ces personnages, mais simplement de voir notre protagoniste évoluer dans ce milieu, essayer de s’y reconnecter et d’évoluer. Au final la caméra est très neutre avec ces personnes qui alimentent presque le décor, incarnent des préceptes, etc ; ils provoquent le même questionnement que des plans contemplatifs sur certains paysages. Dans ce sens, la recherche d’une foi christique, se mue progressivement en foi intime, et le long-métrage devient alors universel, parlant de deuil, de reconstruction, et plus encore même.



Bref, un premier film riche et grandiose, qui s’il ne prend pas son spectateur par la main lui offre des grands moments de cinéma, où la foi christique que le personnage recherche mute petit à petit en foi intime au sein d’un paysage où nature et onirisme se confondent pour offrir une œuvre inoubliable.

Vacherin Prod

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