Peut-être est-il avant tout question de chemins dans Le Chant de la fleur écarlate, fussent-ils rêvés, interrompus, trop parcourus, ou vecteurs d’une quête intime. Teuvo Tulio filme des corps qui paraissent s’être élevés hors du sol, prisonniers ou non de leur terre, comme la mère du protagoniste que le destin semble avoir condamné à arpenter la même route. Voie toute tracée par une histoire d’adultère, qu’elle rumine des décennies plus tard, cherchant à préserver son fils Olavi non des mêmes déboires, mais d’être le porteur d’un pareil malheur. Quitte à lui interdire d’épouser une servante. Ironie tragique : c’est cette même interdiction qui pousse Olavi à devenir non seulement flotteur de bois, mais aussi séducteur chevronné. Lancé sur les flots, libéré du sol, le jeune homme part à l’aventure, et suit sa quête de plaisir au gré des courants.


Au-delà de la sensualité juvénile qui irradie de l’écran, la beauté du film réside en l’obstination de Teuvo Tulio à magnétiser les regards. La propension du réalisateur à en revenir toujours au visage de ses acteurs et actrices donne aux personnages cet aura de grande dignité ou de profonde tristesse qui fait la force du film. Ce sont ces portraits solaires, parfois un peu emphatiques, qui confèrent au Chant de la fleur écarlate la dimension d’une tragédie populaire, où chacune des femmes rencontrées par Olavi finirait sous le joug d’une fatalité géographique. « Ne vois-tu pas que je t’ai aimé, pour faire ce pèlerinage jusqu’à toi ? », lui dira l’une d’entre elle. Mais là où les amours frivoles d’Olavi blessent vraiment, affectent, c’est dans leur propension à « couper les routes ». Celles que séduit et recroise le jeune homme sont des personnages que la peine paraît avoir enraciné, comme si ruralité et déboires amoureux étaient devenues les composantes de la sédentarité.


Si bien que, s’il finira par canaliser ses pulsions dans une dernière séquence apaisée, Olavi n’est pourtant pas le grand vainqueur du film, ni même peut-être le véritable héros. Ce sont plutôt ces visages de jeunes femmes, que le film ne cesse de surimprimer, qui finissent par sortir triomphants. C’est que, subjuguées par la fatalité, ce sont elles qui s’apprêtent à défier la mort pour mieux se libérer, gagnant une présence spectrale digne des plus grandes héroïnes tragiques.

TomVernaculaire
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le 30 juil. 2019

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