Une longue route rectiligne, ruban de bitume au milieu d’un paysage sans relief, sous un ciel vaste comme le jour. Six personnages en quête d’on ne sait quoi marchent, endimanchés. Ils ne vont nulle part. Ce sont des pantins, les pantins de Bunuel.


« Le charme discret de la bourgeoisie » est un film aux couleurs du surréalisme, en ceci qu’il mêle les rêves de ses pantins à leur réalité, parce que leurs rêves sont une part de leur réalité, sans qu’on sache parfois nous-mêmes où se trouve la lisière. Et à cette lisière se révèle une vérité, la vérité de ces êtres-là.


Ces êtres, ces marionnettes, sont six bourgeois et bourgeoises, à qui seule l’ironie du cinéaste peut conférer un charme discret. Leur consistance est toute relative, tant ils vivent pour et dans les apparences. Leur respect des convenances est de surface : alcooliques, trafiquants de drogue, obsédés du sexe et de l’arme à feu, ils développent leurs turpitudes dans des intérieurs feutrés que traversent avec gourmandise des représentants du sabre et du goupillon, autres pantins en uniformes de colonel et d’évêque…


Et tout ce petit monde tourne en rond. Les six bourgeois ont décidé de diner ensemble mais toujours le diner tombe à l’eau, pour un malentendu, un accident de parcours, un caprice du destin, une rencontre saugrenue. Tantôt un pic de nymphomanie, tantôt des grandes manœuvres militaires, tantôt une veillée mortuaire dans une salle annexe d’un restaurant. Bref, l’échec est en boucle. Seuls certains de leurs rêves -ou ce qui semble en être- permettent aux personnages de dépasser l’échec, à défaut de le sublimer.


Ils sont globalement contents d’eux-mêmes, assurés de vivre une existence riche et supérieure. Mais d’actes manqués en impuissances flagrantes, ils se montrent vides et pauvres; ils avancent en spirale, en-dehors des moments récurrents où Bunuel les fait trottiner sur la route rectiligne, dans un contrepoint sarcastique à usage de fil rouge.


Et dans ce film dont la lumière, la réalisation, la narration, touchent à la perfection, dans ce film où se marient avec tant de justesse ironie et cruauté, drôlerie et étrangeté, on se prend, sur cette route en plein soleil, à trouver touchants ces pauvres êtres, dans leurs beaux et vains atours.

coupigny
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le 22 nov. 2016

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