"Auprès de mon arbre, je vivais heureux ..." (air connu, po pom pom)

"L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
."


Théophile Gautier, Le Pin des Landes


Très critiqué, sous-évalué et souvent boudé au même titre qu'un grand nombre de comédies dites franchouillardes, pâtissant entre autres choses du Trio-Lefèbvre-Guybet-Menez bashing, Le Chêne d'Allouville est un petit chef-d'oeuvvre d'humour régionaliste bien à la française qui mérite d'être redécouvert. Et ce, pour trois raisons au moins, petits plus non comptés.



Le Don Camillo normand



Avant toute chose, Le Chêne d'Allouville peut être perçu comme une réécriture normande des célèbres et hilarantes aventures franco-italiennes de Don Camillo.
Il s'agit, en effet, du récit d'une lutte entre un maire progressiste et un curé traditionaliste atour d'un chêne millénaire qu'il est question de sauvegarder ou de raser. Si Henri Brainville, le maire, auquel Pierre Tornade prête avec brio ses glorioles et ses airs péteux et dépités, est bien plus véreux et négatif que ne l'est le plus contrasté et idéologique Peppone de Gino Cervi; si Bernard Lecourt, le curé contestataire et fauteur de troubles, campé avec gouaille par l'inénarrable Bernard Menez, ne dispose pas du charisme unique de Fernandel, si Allouville-Bellefosse n'est pas Brescello, le scénario aurait tout à fait pu être celui d'un des métrages de Julien Duvivier ou d'un des ouvrages de Giovannino Guareschi, simplement transposé au goût des années 70-80.
On regrettera seulement le peu de face-à-faces Menez-Tornade qui auraient donné du corps au film. La faute à deux autres personnages: celui du député amoral de l'excellent Philippe Nicaud - qui sert à nuancer la figure du maire pour fustiger les politiques déconnectés - et celui de Marylène, la fille du Maire - qui, bien incarnée par Isabelle Gautier, incarne à son tour la jeunesse rurale et sa prétendue naïveté que lui envie la jeunesse de la ville.
Néanmoins, le jeu de Menez en prêtre harangueur, soulevant les foules et prenant leur tête sans jamais perdre la sienne vaut le détour et ses discussions avec l'esprit d'un ermite que la légende fait habiter dans le chêne d'Allouville-Bellefosse ne sont pas sans rappeler celles de Camillo avec son crucifix. Ne voit-on pas d'ailleurs un villageois comparé ce curé normand à Don Camillo en imitant Fernandel le temps d'une réplique ? Cela dit, le personnage de Menez possède son identité et son univers propres, comme son hilarant mainate qui ponctue toute prise de parole humaine par un poil au [insérez votre rime]. Un mainate baptisé Vobiscum, référence à une réplique rituelle de la messe chrétienne du temps où elle se faisait encore en latin - vobiscum signifiant "avec le vôtre [votre esprit]", réponse à "Le Seigneur soit avec vous !".



"Astérix est là ! Ça va faire mal ! Ça va cogner la bagarre !" (air connu, pif, paf, plouf)



Mais Le Chêne d'Allouville, c'est bien plus que ça.
C'est aussi l'expression d'un état d'esprit bien français et bien normand ! Celui que l'odieux César des temps actuels nomme le "Gaulois réfractaire au changement". L'esprit râleur, bagarreur, contestataire et attaché à ses valeurs patrimoniales.
Voyez plutôt le synopsis du film. En 1981 après JC, toute la France est occupée par le Grand Parking (https://www.youtube.com/watch?v=o7PxwbU75Cs ) des politiques progressistes et investisseurs en urbanisme. Toute ? Non ! Un petit village de normands irréductibles résistent encore et toujours à l'envahisseur ! Seuls contre les Dieux, contre l'odieux César, le prêtre, son père, un de ses amis, la fille du maire puis le village entier vont lutter contre l'envahisseur profanateur et destructeur venu de la ville.
Le film donne ainsi lieu à des affrontements, bettraves au poing et tuyau d'arrosage projetant de la boue, opposant les habitants d'Allouville - pour beaucoup moustachus d'ailleurs - et rien de moins que toute une armée de CRS, qui font office de légionnaires romains ! Une remontée du populaire et un débordement coup-de-gueule bien français, plaisir enfantin de la baston entre copains, que l'on eût pu croire bien trop fantaisistes s'il n'y avait pas eu pour nous le rappeler récemment encore le mouvement impressionnant des Gilets Jaunes à Paris.
Saviez-vous d'ailleurs que Le Chêne d'Allouville connaît un autre titre, qui semble comme inspiré des albums d'Astérix: Ils sont fous, ces Normands ?



Petite fantaisie écologique et sociale bien actuelle



" Écoute, Bûcheron (arrête un peu le bras)
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des Nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on prend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer des Déesses ?
"


Pierre de Ronsard, Contre les bûcherons de la forêt de Gastine


" La Femme est à présent pire que dans ces temps
Où voyant les Humains Dieu dit : Je me repens !
Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,
La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome,
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté.
"


Alfred de Vigny, La Colère de Samson


Ce qui rend cette petite comédie sans ambition très intéressante aujourd'hui, c'est son actualité.


Écologiste engagée, elle dénonce les combines de gros sous au détriment de la nature. À toute échelle ! De la forêt amazonienne, poumon de la terre plus enflammé et enfumé que ne l'est celui d'un grand fumeur, aux simples derniers sanctuaires verts des campagnes.
Ce sera une merveille naturelle française, le chêne d'Allouville-Bellefosse, qui existe bel et bien, qui symbolisera tout ce patrimoine naturel, un chêne millénaire, cyclopéen, qui abrite en son sein deux chapelles, la tombe d'un prêtre, l'abris d'un ermite. Un arbre si large et si grand qu'il aurait accueilli sous son écorce pas moins d'une quarantaine d'enfants ! Un arbre qui, par son étrangeté, sa magie et toutes les légendes qui l'entourent, montre combien la nature est belle et combien il faut la préserver.


Social, Le Chêne d'Allouville revient sur la sempiternelle fracture ville / campagne mais s'en sert surtout pour questionner la condition féminine et sa place dans la société. Rencontre entre la femme moderne, libérée, journaliste de Paris ayant une influence et des accointances avec les plus grands de ce monde et la jeune fille de la campagne en pleine rupture familiale, se libérant d'une emprise que son père possède encore sur sa mère qui débouchera sur un désir impossible et nostalgique mutuel de vivre la vie de l'autre, l'herbe étant toujours pensée plus verte ailleurs. La première joue les Fleabag avant l'heure, cherchant à séduire le curé qui a su la ravir, la seconde se trouvant confrontée à la muflerie du brave paysan dont elle s'est éprise.
Alors, certes, on peut ne pas tomber d'accord avec les conclusions de sous-intrigues amoureuses - qui ne prétendent d'ailleurs établir aucune vérité - ou avec la conception vieillie de l'homosexualité, esquissée seulement, mais cette humble comédie a le mérite d'avoir ce qui manque à tant de comédies aujourd'hui: une âme. Revenons à cette insouciance, revenons à ce rire rassembleur, revenons à ces intrigues tellement plus proches des gens, plus authentiques !



Les petits +



Outre ces trois raisons de voir ou revoir Le Chêne d'Allouville, notons le casting et quelques savoureux caméos.
Typiques des films du père Pénard (oui, c'est le nom véritable du réalisateur: cela vaut toujours mieux qu'être procureur et s'appeler Pinard, n'est-ce pas Ernest ?), ses vedettes fétiches, Jean Lefebvre (Le Gendarme de St-Tropez), Bernard Menez (L'Avare) et Henri Guybet (Les Aventures de Rabbi Jacob) prennent la tête de l'affiche. Gravitent autour d'eux de grands noms comme Pierre Tornade et Philippe Nicaud, déjà cités, Catherine Morin, la toute première copine du Commissaire Moulin d'Yves Rénier ou encore le grand Jean-Pierre Darras, grand habitué des Denys de La Patellière et de Michel Audiard.
Cette belle brochette est relevée par plusieurs caméos qui font épices: le scénariste du film, Alphonse Boudard, ouvre le film en se faisant le guide des spectateurs internes et externes, le chanteur Nicolas Peyrac et le metteur en scène Jean-Luc Moreau viennent se jouer eux-mêmes en totale auto-dérision. Christophe Guybet, fils d'Henri, y va, lui aussi, de sa participation.
Le clou du spectacle restant Valéry Giscard D'Estaing, à la veille de son historique "Au revoir!", interprété, du moins vocalement, par un Thierry Le Luron fidèle à lui-même. Un face à face Jean Lefebvre / pseudo-Giscard jouissif et qui vaut à lui seul son pesant de pop-corn.



Pour conclure, le critique, comme Fantômas et OSS 117, se déchêne



Mes chers concritiques, chers confrères, chères consoeurs,
Mes chers lectrices, mes chers lecteurs,


C'est avec une profonde mais véritable passion, un sincère engouement, n'ayons pas peur des mots que,je vous encourage, que je vous demande, que je vous appelle à soutenir cette belle comédie qu'est Le Chêne d'Allouville en allant la découvrir ou la redécouvrir.
Contre le dénigrement systématique des comédies dites franchouillarde, pour l'esprit français, contre les torts faits à la nature et au patrimoine (pensez, à ce sujet, à jouer au loto ou à acheter les disques de chants religieux dont les gains seront reversés à la reconstruction de Notre-Dame), pour l'avenir de notre planète et de nos campagnes, contre un rire impur et artificiel et pour un humour plus innocent et plus axé sur ce qui nous interpelle ou nous intéresse vraiment.


Vive Sens Critique, Vive la France !




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Frenhofer
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le 3 sept. 2019

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