Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

Le Conte de la princesse Kaguya est le dernier film réalisé par Isao Takahata (notamment connu pour Le tombeau des lucioles), co-fondateur du studio Ghibli, studio d’animation japonais célèbre en dehors du Japon notamment grâce aux films d’Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké, Le voyage de Chihiro, Le vent se lève…).


Les films de Miyazaki sont fantastiques (tant dans les mondes construits que dans l’effet souvent produit), flamboyants, et parfois galvanisants – mais ce n’est pas d’eux dont il est question ici. Les films de Takahata – et en particulier Le Conte de la princesse Kaguya – ont à mes yeux quelque chose de bien plus intime, de bien plus touchant et fort. Voir ces films être si peu discutés me donne envie d’en évoquer au moins un ici – celui qui m’a le plus marqué.


Le Conte de la princesse Kaguya raconte ce qui est tenu pour être un des écrits les plus anciens du Japon : le conte du coupeur de bambou. Alors qu’il se trouve dans une bambouseraie, le coupeur de bambou découvre un minuscule bébé (il tient dans sa main !), que lui et sa compagne (couple alors sans enfant) vont adopter. Ce bébé grandira vite, très vite (il deviendra en quelques mois une jeune fille), qui va découvrir la joie simple de la vie à la campagne (un thème cher à Takahata, notamment dans son opposition à la ville, qu’on retrouve également dans Souvenirs goutte à goutte ou Pompoko par exemple), avant d’en être séparée. Je n’en dirai pas davantage pour ne pas divulguer l’intrigue.


Ce film est pour moi l’histoire d’un amour pour la vie complètement brisé. C’est un anéantissement dont l’origine est l’égoïsme et la vanité des hommes : que leurs intentions semblent louables ou non, que leur démarche soit sincère ou pas, elles sont la cause de la chute. D’une vie détruite. Dont restera peut-être un souvenir flou, un vague à l’âme pour certains, et une insondable tristesse et des regrets pour d’autres.


L’histoire est terrible. Et la prouesse est de faire de cette tragédie une célébration de la vie. Une ode sincère, vibrante, et qui jamais ne sonne faux. Ce film nous fait sentir toute la beauté de notre monde, toute l’intensité des émotions qu’il peut susciter, jusqu'à leur perte.


On pourrait se demander : pourquoi choisir l’animation pour raconter cette histoire ? Il a parfois été dit que les films de Takahata pourraient très bien être des films en prise de vue réelle – car rien ne nécessiterait de passer par le dessin. Pensons à un autre film qu’il a réalisé : Souvenirs goutte à goutte. On y voit une jeune tokyoïte en vacances à la campagne, participer par exemple à la culture des fleurs de carthame. Le processus est décrit de façon quasi-documentaire, minutieusement. Autre exemple : Takahata regrette l’animation de la découpe de la pastèque dans Le tombeau des lucioles, problème qu’il n’aurait sûrement pas eu s’il avait filmé un acteur réaliser l’action. Car la prise de vue réelle capture des propriétés du monde physique (gravité, mouvements…), là où l’animation est a priori libre de tout. Posez une caméra : vous y capturerez des fragments du monde qui vous entoure. Considérez maintenant une feuille blanche : rien n’y prendra forme sans l’action de quelqu’un ou de quelque chose.


D’ici vient une source majeure de la beauté des films de Takahata : réussir à capturer, à traduire en dessins des propriétés du monde. Du monde physique déjà : Dessiner le monde avec un tel souci du détail nous force à le remarquer. Pensons à nouveau à la découpe de la pastèque (ou du melon, dans Kaguya), à la récolte des fleurs de Carthame… Qui s'en soucierait, dans un film à prise de vue réelle ? Maintenant, la même action comme résultat de traits crayonnés mis bout à bout : l’effet de réel produit force à y prêter attention. L’animation, en cherchant à reproduire le monde qui nous entoure, dirige notre regard, peut-être même au-delà du film ?


Une traduction des propriétés du monde « interne » aussi : comment donner à sentir l’expérience d’une émotion dans un film en prise de vue réelle ? Dans le texte, dans la seule expression des émotions ? L’animation n’a pas la même limite : elle peut plus aisément dévier de la représentation d’un monde physique (les objets, leurs formes…) pour suggérer des états affectifs, et de là naît le réalisme émotionnel. Dans Souvenirs goutte à goutte, cette scène où Taeko alors enfant s’envole (littéralement) après quelques mots échangés avec son amoureux. Ces larmes, impossiblement gigantesques, roulant sur les joues des personnages. Cette cacophonie de traits pendant la fuite de Kaguya. Le réalisme ne tient pas nécessairement dans une retranscription fidèle du monde qui nous entoure – il peut aussi consister à capturer l’expérience de notre rapport au monde et de nos émotions.


L’animation, magnifique, sert pleinement le propos du Conte de la princesse Kaguya : célébrer la vie en la montrant, en en faisant l’expérience, en la perdant.

Jeem
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le 6 mars 2021

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