Le Disque rouge
7.6
Le Disque rouge

Film de Pietro Germi (1956)

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Pietro Germi est un réalisateur que j’ai découvert très récemment, je ne connaissais de lui que Divorce à l’Italienne, véritable classique ! Et ce Germi est un excellent réalisateur, j’aime beaucoup son cinéma qui mêle plusieurs genres : souvent drôle, très ironique, mais également très noir et pessimiste, cela me rappelle énormément Bunuel en fait, notamment des films comme Ces messieurs dames, l’humour y est très noir et c’est un film qui démolit bien l’être humain, au même titre que journal d’une femme de chambre ; puis, les films de Germi ont parfois un petit côté absurde (surtout Ces messieurs dames, encore une fois) qui n’est pas sans rappeler l’excellent Charme discret de la bourgeoisie. Bref, Germi est un cinéaste brillant, qui pose un regard très juste sur l’humanité, et qui manie follement bien l’humour noir ; par ailleurs, il est aussi un excellent acteur (dans Meurtre à l’Italienne, il est excellent).


Mais ce Il Ferovierre, il est complètement à part dans la filmographie de Germi (de ce que j’ai vu pour le moment). Pas d’humour noir, pas d’absurdité, on est loin de Divorce à l’Italienne ou de Ces messieurs dames. On est plus dans la veine néoréaliste ici, film qui décrit la pauvreté des travailleurs Italiens, et particulièrement des cheminots ici. Mais, ce n’est pas forcément un film « social » ; au-delà de la description des différentes classes sociales en Italie, de la misère des travailleurs, de la connerie des syndicalistes, etc, c’est un film sur un homme malheureux, un homme particulier, qui ne trouve pas forcément sa place dans le monde, qui n’a pas l’impression d’avoir réussi sa vie, qui a de grandes difficultés de communication avec les autres (et même avec sa femme ou ses enfants), et qui souffre d’un terrible alcoolisme. Oui, c’est avant tout ça Il Ferroviere, c’est cet homme, cet homme malheureux qui ne trouve refuge qu’à travers l’alcool. Il Ferroviere c’est une histoire de famille, les relations entre les différents membres de cette famille sonnent très justes ; tantôt tristes, tantôt belles, tantôt dures, tout n’est pas forcément noir, bref, Il Ferroviere c’est avant tout l’histoire d’une famille qui se cherche, qui souffre, mais qui s’aime. Et ainsi, le film regorge de scènes d’une beauté sidérante (grandement aidée par une musique qui se rapproche du sublime, d’une simplicité énorme (quelques notes de guitare et ça suffit), mais alors ce qu’elle peut être touchante nom de Dieu), à deux doigts de me faire pleurer…


Beaucoup de scènes avec le gamin sont émouvantes ; c’est ce gamin, Sandro, qui guide le film, nous voyons la majorité des scènes à travers son regard d’enfant, son innocence, ce gamin au sourire si pur, un gamin qui aime tant sa mère, que son père et que sa sœur et qui se retrouve perdu au milieu de toutes ses embrouilles familiales, ça le détruit (comme en témoigne tous les secrets que chacun lui confie et qu’il ne peut garder). Mais il aime sa famille, et cet amour est brillamment retranscrit par Germi car c’est beau, ça sonne juste, c’est d’une pureté inégalable (si peut-être par un Pialat ou un Bresson). Je pense notamment à une scène où le gamin retrouve son père dans un bar de la ville, lui qui le cherchait depuis si longtemps. Leurs retrouvailles sont magnifiques, j’en ai pleuré, le gamin respire de bonheur en revoyant son père ; quant au père, lui aussi éprouve un sentiment très fort ; il propose un verre de vin à son fils, et tout deux, il trinque, et le fils lui adresse, avec son sourire sur pur : « Papa, au raisin ! », phrase fétiche de son père… C’est tout simple, mais c’est beau, il n’en fait pas trop Germi, il reste dans une certaine sobriété, et ça en devient magnifique !


Ce père, c’est un personnage très touchant tout de même… Interprété extraordinairement bien par Pietro Germi lui-même (et oui, aussi bon devant que derrière la caméra), son regard est très fort, et il possède une présence remarquable, il est brillant, dés qu’il arrive dans le champ de vision de la caméra, on ne voit que lui, avec son air si triste, si désespéré.


Il y a des scènes relativement dures dans ce film, je pense notamment à toutes celles exposant les relations entre Germi et sa fille (interprétée par la sublime Luisa Della Noce), ce sont des scènes très dures, où Germi bat sa fille, se sont des scènes révoltantes presque (d’ailleurs, le thème de la maltraitance est un thème qui revient assez souvent chez Germi, il est principalement évoqué dans le très bon Séduite et Abandonnée, où le personnage de Stefana Sandrelli était victime d’une terrible maltraitance). Elle aussi, cette fille, elle fait de la peine, elle aussi ne trouve pas sa place dans le monde et j’aime beaucoup les relations qu’elle partage avec son frère.


En fait ce que j’aime beaucoup dans ce film, et notamment avec le personnage du père, c’est que ce n’est absolument pas manichéen, on arrive pas à juger les personnages, car ils ne sont ni noir, ni blanc (ils sont gris, comme Michael Jackson, sisi), ils ne sont pas entiers, et c’est ça la vie, Germi ne juge pas ses personnages (et c’est là que ce film diffère des autres Germi à mes yeux, je veux dire, dans Ces messieurs dames, Germi juge ses personnages, mais du coup il passe par l’humour noir, cynique et ironique, afin d’apporter de la subtilité à son film, il s’adapte dans le fond).


La fin est très belle, et moins pessimiste que le reste du film finalement ; Germi fait le point sur sa vie, et il meurt heureux… C’est beau, c’est très beau.


Je ne reviendrais pas sur la dimension social du film, car pour le coup c’est très classique ; la misère du peuple, les syndicats à la con, la corruption, bref, on connaît la chanson, et pleins de films néoréalistes traitent de tout ça. Ce film va plus loin, ce n’est pas un film social, c’est un film beau, sur les relations familiales, et sur l’impossibilité de communication d’un homme avec le reste du monde.

Reymisteriod2
9
Écrit par

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le 2 mars 2016

Critique lue 309 fois

Reymisteriod2

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