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Un des films les plus cyniques de Billy Wilder, pourtant le roi du cynisme. Pas de comédie ici mais les machinations d'un journaliste arriviste prêt à tout pour décrocher un scoop. Billy Wilder, anciennement journaliste, épingle avec justesse les aberrations du système. Mais plus qu'un portrait à charge du journalisme, c'est surtout une peinture peu flatteuse de l'humanité qu'il nous dépeint. Dans un trou paumé du nouveau Mexique, il met en scène un drame sur une semaine où l'humanité semble être étudié à la loupe. La petite ville d'Albuquerque devient un petit bouillon de culture où les pires bassesses dont sont capables les hommes vont se développer. Que ce soit les badauds à la recherche de sensationnaliste, le shérif qui veut se faire passer pour un héros et être réélu, l'épouse essayant de soutirer le maximum d'argent, chaque individu gravitant autour du drame essaye de tirer un morceau de la couverture à lui. Personne ne s'intéresse réellement à Léo Minosa, celui coincé au fond du trou (à part le personnage touchant et effacé, presque fantomatique du père).
Même quand le journaliste finit par essayer de sauver Léo, il précise que c'est pour donner un happy end à son histoire, ce qui fait plus vendeur. Ces toutes dernières actions seront d'ailleurs pour offrir un beau scoop, bien qu'il n'en soit plus l'auteur, rappelant ironiquement la phrase qu'il avait proférée en début de film "I can handle big news and little news. And if there's no news, I'll go out and bite a dog."
Pas de gags ni de dialogues survoltés, "le gouffre aux chimères" se rapproche plutôt de "Boulevard du crépuscule" et du film noir dans un classicisme à la limite de l'austérité. Pour moi un des films le plus réussi de Billy Wilder, du moins au niveau de la forme, avec une mise en scène éblouissante. Avec très peu de décors, le film respectant l'unité de temps et de temps, sans fioritures inutiles, Billy Wilder met en valeur chaque espace : les montagnes rocheuses perdues dans le désert permettant de superbes plans surplombant l'agitation inutile et ridicule des badauds en dessous, le tunnel menant au fameux trou où est coincé ce pauvre Léo avec des plans resserrés dans un noir et blanc parfaitement maitrisés quasi expressionnistes, et quelques scènes d'intérieur (le petit journal Sun Bulletin d'Albuquerque, la chambre de Kirk Douglas ou une simple tente) pour des confrontations plus rapprochées entre un journaliste magnétique qui va hypnotiser et manipuler tout le monde autour de lui.
Le film signe d'ailleurs aussi une grande réussite de Kirk Douglas dans un de ses meilleurs rôles. Tour à tour odieux, charismatique, viril, répugnant ou repentant, il incarne à merveille ce personnage ambigu. La caméra de Billy Wilder ne le lâche pas, le place toujours au centre et sait laisser exprimer son côté quasi animal (bien qu'un peu théâtral comme toujours).
Si l'histoire est cousue de fil blanc, elle se suit avec la même fascination morbide dont font preuve les badauds dans le film. Léo va-t-il survivre? Les mensonges peuvent-ils être sans conséquence?... Billy Wilder ne nous fait aucun cadeau et déroule son engrenage jusqu'au bout. Un petit chef d'oeuvre de noirceur dont le propos reste toujours aussi pertinent à notre époque.
Les moins :
Face à Kirk Douglas, pas d'acteur particulièrement marquant. Le rôle féminin notamment est assez décevant, l'actrice manquant d'un certain charme qui aurait pu la hisser au rang de femme fatale.
Niveau musique rien d'extraordinaire, ce qui est un peu décevant au vu de la filmographie de Billy Wilder. À noter toutefois une petite chanson écrite spécialement pour le film complétant l'aspect de fête foraine que prend le sauvetage.