Ce soir, vous ne le croirez pas, mais je suis tout amour et bienveillance. Et le hasard à voulu que je regarde ce film "Le goût de la violence" de Robert Hossein. Grand bien lui en a pris de se trouver sur mon chemin. Sorti en 1961, cette oeuvre baroque, co-production franco-italo-germanique, écrite à 6 mains (ambidextres je les suppose) par 3 scénaristes (dont Robert Hossein), est très clairement une oeuvre inégale sur ces 1h21 de film.


Mais quelle chose curieuse au final à l'écran que ce film dont la durée assez courte fait beaucoup pour l'efficacité. Mariant avec audace les outrances du cinéma latin et oriental (musiques traditionnelles, personnages caricaturaux et scénarii limpides) à la froideur avant-gardiste du cinéma européen (onirisme, surréalisme, maîtrise technique des images...), il compose un clin d'oeil précurseur à un cinéma qui aura le vent en poupe dans la décennie qui va suivre : le western spaghetti (Sergio Leone ne réalisant ses films cultes que quelques années plus tard)


Hésitant entre le western et le film de guérilla onirique, "Le goût de la violence" est une petite pépite qui exploite efficacement les arcs traditionnels du mélo. Mise en scène assez commune dans son premier tiers, le reste du film se permet des envolées allégoriques, un montage syncopé et des plans fixes silencieux pour figurer les sentiments des personnages ou faire l'ellipse de certaines scènes de violence.


L'histoire : Quelque part en Amérique latine au tout début du 20ème siècle, dans la province fictive d'Oriente (Allusion à Cuba ? Oriente étant l'ancien nom de la province de Santiago de Cuba), Une bande de guérilleros enlève la fille du président Laragna pour la remettre entre les mains du Général Guzman, meneur de la révolution. Destinée à devenir monnaie d'échange pour faire libérer plusieurs dizaines de révolutionnaires emprisonnés par les armées du dictateur, la belle captive va être la spectatrice muette des tiraillements qui vont très vite diviser les 3 hommes sensés la mener entre les mains de ses geôliers.


Le chef de la bande, Perez (Robert Hossein) l'idéaliste n'a qu'une idée fixe : suivre le plan à la lettre pour faire libérer ses camarades emprisonnés. Chico, le plus jeune de la bande, au regard mélancolique, n'a plus d'yeux que pour la belle silencieuse et commence à douter du sens de la lutte qui a armé son bras. Le dernier, Chamaco, semble lui le plus pragmatique des trois. Conscient de la valeur de Bianca (la fille du président) il se prend à l'idée de monnayer l'otage, directement avec le père de la belle, pour ramasser une rançon sans passer par la case solidarité prolétarienne...


Ce canevas de départ ne représente que le premier quart d'heure du film, et est certainement la partie la plus plate et ennuyeuse de l'oeuvre. Enfilant les clichés comme les perles, les dialogues révèlent des personnages caricaturaux sans grandes nuances et la réalisation semble outrancièrement théâtrale pour les plans de groupe (celle de l'enlèvement dans le train, l'exécution des soldats du dictateur, le départ des 3 comparses chargés de convoyer la précieuse Madeleine Robinson/Bianca...).


L'une des premières choses qui m'a marqué dans ce début (en dehors du gros plan sur le visage de Hossein lançant son cri de ralliement) est l'absence de musique. Puis les minutes passent, et une certaine nervosité se met en place dans les cadrages et quelques notes de guitare viennent saupoudrer les scènes. Le tout est filmé en décors naturels (au Monténégro) et la lumière est distillée de manière très élégante.


Jusque là, rien de transcendant. L'ennui peut pointer son nez. Les dialogues sont bruts. Les enjeux semblent porter de gros sabots comme pour qu'on les voient venir. Et puis... pas du tout ! Ce n'est ni une romance entre le brûlant Chico et la brune Bianca qui se dessine et ce n'est pas non plus une histoire de trahison et de rançon avec coup de fusils qui pétaradent en prime.


Primaire, silencieux et désabusé "Le goût de la violence" est avant tout un film sur le non-sens de la révolution. Sans remettre en cause la nécessité de s'insurger, ce film court démonte avec poésie l'idéalisation révolutionnaire. Alors que l'héroïne féminine ne prononce pas 10 lignes de dialogues, c'est une autre femme (la soeur de Perez) qui assénera cette réplique : "la révolution, c'est un jeu où personne ne gagne".


Vous irez peut-être le voir, après m'avoir lu et certains d'entre vous m'en voudront. "C'est truffé de clichés, c'est sirupeux, ça en fait des tonnes,..." Et vous aurez peut-être raison. Mais pour vous donner quand même envie de voir ce film joliment imparfait, je vous invite à écouter la BO écrite par André Hossein (le père) qui monte en puissance dans le dernier tiers du film : https://www.youtube.com/watch?v=Aua72odbyM8


Et pendant que je ré-écoute avec vous cette musique, je revois la scène où Perez découvre la maison de sa soeur après le passage de l'armée et la scène finale où les deux chevaux galopent (très, très, très longtemps) chacun dans une direction opposée...


Hossein acteur, interprète ici avec sobriété. Hossein réalisateur, s'amuse et surprend les yeux par des petites surprises visuelles assez inattendues dans ce genre de cinéma (alors que Sergio Leone était encore tout occupé à ses péplums et qu'il lui faudra attendre 10 ans pour reprendre les procédés des plans fixes, des hors champs, silences et autres ellipses poétiques dans son "Il était une fois la révolution")


La bande son est assez puissante pour marquer l'esprit. Les acteurs secondaires font leur emploi avec efficacité. Les costumes, les décors et les images sont à la hauteur d'un tout final qui prend des accents de conte sans morale.


C'est produit en 1961, c'est désenchanté avant l'heure, c'est précurseur des thématiques et des techniques qui vont se répandre dans le cinéma européen dans les années 70. C'est abrupt, c'est sommaire, c'est efficace... ou presque.

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le 17 avr. 2016

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Presque

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