Alors que La désolation de Smaug vient de sortir en salles, et que le public se précipite sauvagement dans les cinémas, j'ai pu voir le film deux fois et participer à la ferveur des discussions se construisant autour. Alors que beaucoup de critiques font part d'un ressenti, pointant ce que l'on a aimé ou pas et espérant que le jugement puisse s'étendre aux autres, je propose pour ma part une tentative d'analyse pour voir si finalement l'œuvre de Jackson n'a pas une profondeur insoupçonnée. Autant préciser que : premièrement, vu que je n'essaye pas de vous inciter à voir le film mais plutôt de réfléchir sur lui, je discuterais du déroulement de l'intrigue et notamment de la fin du long-métrage. Deuxièmement, je n'ai aucune ambition d'évaluer le film d'un point de vu cinématographique ou esthétique (je le trouve d'ailleurs plutôt laid, pour ceux que ça intéresse).


Bref. Commençons par la fin. La désolation de Smaug se termine sur un terrible cliffhanger : l'image du visage de Bilbo se décomposant en voyant un Smaug enragé prêt a détruire Esgaroth (ou Laketown), et lâchant un "What have we done ?". Écran noir, musique d'Ed Sheeran, crédits (http://www.youtube.com/watch?v=DzD12qo1knM). C'est en écoutant cette chanson en boucle que j'ai vraiment pu développer ma réflexion (alors merci Ed Sheeran, toi le déclencheur). Aimant grandement le morceau, je me suis demandé si le reste du monde l'appréciait autant que moi et j'ai ainsi pu assister aux discussions pouvant se résumer à : quelques uns aiment, d'autre n'aiment pas, tout le monde préfère "Song of the lonely moutain/The misty moutain's cold" qui concluait le premier film, car étant beaucoup plus en harmonie avec le ton de la saga, soit de l'aventure et de l'épique. C'est là que s'est faite la cission entre mon avis et le général, qui m'a finalement permit de déboucher sur une nouvelle considération du film à travers sa fin et son thème final. Je comprends que l'on critique les cliffhangers, qu'on jette la faute à l'argent, mais personnellement j'aime croire qu'il y a plus à voir dans l'affaire, une décision artistique.
Autant pour la musique que pour la fin du film, je crois que Peter Jackson est un artiste, un auteur (de blockbusters certes), faisant des choix pensés et plus ou moins assumés. Tout ça pour dire que je crois que si les choses sont comme ça, c'est qu'il y a une raison derrière. Et je refuse de me dire que Jackson et son équipe se sont simplement dit "Ah ouais, le petit Ed Sheeran il plaît bien aux filles, si ont met une de ses chansons à la fin de notre film ça va être trop hype et attirer un max de gens et d'argent !". Rappelons que la chanson de Sheeran "I see fire" à été pensée et créée exprès pour le film, payez un minimum d'attention aux lyrics et vous verrez de nombreuses références à l'intrigue du Hobbit ("Keep watching over Durin's sons"), ou même des répliques du film reprises ("If this is to end in fire, then we shall all burn together"), je ne crois vraiment pas que la décision de l'inclure soit superficielle. Restons en là pour musique, nous y reviendrons plus tard.

J'aimerais maintenant concentrer la réflexion sur un autre point : celui du mélange d'influences dans le film. Peut être en avez vous déjà entendu parler, mais vous savez surement que Le Hobbit à l'origine est un conte pour enfant se déroulant sur peu de pages. Jackson dans ses films, à travers des procédés stylistiques et en rajoutant beaucoup d'éléments inexistants dans la trame du livre, a en quelque sorte donné un enfant bâtard avec sa saga du Hobbit, voulant faire le lien avec Le Seigneur des Anneaux tout en gardant un minimum de fidélité à l'ouvrage d'origine. En résulte un mélange entre l'Epique et l'Enfantin, entre une odyssée gargantuesque et impressionnante et un conte enfantin et innocent. On pourrait dire que ce mix est souvent mal géré et qu'il a parfois des effets néfastes produisant des ratés, avec beaucoup de moments à mi chemin entre l'impressionnant et le puéril. Mais pour cette fois ci, je crois que Jackson a réussi son coup. Comment le savoir ? Par justement la fin du film, par la musique déclencheuse. Cette musique qui est dans un ton beaucoup plus posé, beaucoup plus calme et mélancolique que le ton fort et plein d'entrain de "The misty mountain's cold". Dans les derniers instants du long métrage, en voyant le visage de ce pauvre Bilbo ravagé par la hantise, on comprend enfin que l'on est dans une tonalité entièrement contrastée au reste de l'aventure, une tonalité grave, sérieuse et pleine de désespoir.

Ce qui nous permet de déboucher sur ce que je crois être le point principal du film, le point que cherchait à faire Jackson après ces six heures de visionnage : grandir. L'auteur veut nous faire comprendre les conséquences d'être enfantin. Nous mettant à la place de Bilbo, nous rêvons tous d'une vie d'aventures, que Gandalf vienne toquer à notre porte et d'entamer un long périple plein de péripéties. Si Jackson nous a plongés dans l'émerveillement d'un conte pour enfants, nous a fait voyager en Terre du Milieu en passant d'une péripétie à une autre avec une grande légèreté, c'est pour mieux nous arracher à cette vision puérile de l'aventure dans les derniers instants de La désolation de Smaug. Un soudain changement d'ambiance, en un court moment, est assez pour réaliser le frein imposé par le réalisateur. Alors qu'auparavant, le film pouvait sembler se précipiter d'aventure en aventure, comme dans un conte, enchaînant les découvertes et les émerveillements de manière jouissive (pour récapituler : on passe de chez Bilbo aux trolls, a Radagast, aux orcs, à Rivendell, aux géants de pierre, aux gobelins, aux aigles, à Beorn, à Mirkwood, aux araignées, aux elfes, à Laketown, à Erebor), on ne se souciait trop de rien et on s'occupait à continuer toujours tout droit ; on se rend compte que désormais cette puérilité n'est plus.
Le ton de la musique exprime clairement cette idée : mettre un terme à l'action, laisser poser la réflexion. Et attention à ne pas mésinterpréter mes paroles. Quand je formule cette idée, je ne veux pas dire que la suite du film coupera toute sorte d'action, mais qu'il s'agira d'une action fondamentalement différente, car soustraite de toute dimension enfantine, pour laisser place à l'épique. Lorsque Bilbo prononce les mots "What have we done ?", on comprend qu'il est temps d'abandonner le plaisir du retour en enfance, il est temps d'affronter les conséquences de nos actions, l'insouciance n'a pas sa place, surtout dans une aventure d'une telle envergure. Réveiller le dragon pour récupérer Erebor et ses richesses ? Bien sur ! Pourquoi pas ? Il faut juste tenir en compte qu'il est probable que le dragon consume dans sa rage un nombre incroyable d'innocents à Esgaroth et fasse un nouveau génocide, pour lequel il faut prendre une part de responsabilité. Voilà ce que découvre l'insouciant Bilbo dans les derniers instants de La désolation de Smaug. On découvre alors que cette saga du Hobbit a une profondeur non évidente traitant sur une vraie prise de maturité. Ainsi, le Bilbo bien gentillet de Cul-de-sac qui se vautrait dans son fauteuil en ne se préoccupant que de lui même n'est plus, Bilbo s'affirme en héros et l'on repensera alors à la sagesse de Gandalf, prononcée il y a maintenant longtemps : "Can you promise that I will come back ? -No. And if you do, you will not be the same." Il faut considérer que lorsque l'on parle de l'affirmation de Bilbo en héros, on ne le dit pas parce qu'il n'est plus aussi peureux et que désormais il tue des monstres, mais un héros parce qu'il compatis (avec les gens d'Esgaroth), se distinguant de son passé égoïste, mais aussi des nains qui l'accompagnent.

Venons en finalement aux nains, qui servent notamment à soutenir le propos sur la prise de maturité, mais aussi à l'anticiper. Il est évident qu'ils sont présentés comme les héros du récits, ceux que l'on suivra pendant l'intégralité de périple et gagnent par là une sympathie de valeur non négligeable. Dans ce statut de héros, plus ou moins charismatiques, le spectateur se place automatiquement de leur côté dans les conflits, car finalement il désire autant que Thorïn de reprendre Erebor, de façon naturelle. Et pourtant, on remarquera qu'à plusieurs reprises, des adversaires ou des personnages secondaires vont critiquer ces nains et leur entreprise, les traitant d'orgueilleux, de fiers, de cupides, de ne penser qu'à eux mêmes, des traits de caractère que l'on retrouve souvent dans la puérilité. C'est en cela, à mon avis, que dire que Thorïn est une pale copie d'Aragorn est juste ridicule. Alors qu'Aragorn est tout simplement un homme de qualité morale parfaite, Thorïn lui souffre des défauts propre à sa race et est souvent trop fier pour son propre bien. Ce rôle critique est pour moi cristallisé dans le personnage de Barde, qui comme nous se place premièrement du côté des nains en les assistant dans leur quête, mais en comprenant leur insouciance va essayer de les arrêter. Car oui, ces héros sont aveugles et égoïstes, ils ne veulent que reconquérir leurs richesses sans se préoccuper des maux des autres et de la destruction qu'ils peuvent causer, même Balin, le vieillard sympathique, se place dans cette catégorie d'immaturité.
Barde essayera donc de faire comprendre à nos aventuriers qu'ils courent à leur perte, et nous nous retrouvons à nous demander si finalement Barde n'a pas raison et nous sommes aussi aveuglés que les nains, par Jackson, à nous placer du côté des égoïstes et des insouciants alors que divers personnages nous ont rappelé la vérité à de multiples reprises durant l'aventure. On comprendra alors que contrairement au Seigneur des Anneaux qui possède une variété de races pour ses héros, Le Hobbit ne nous offre que des nains.


Et si finalement, loin de se contenter d'adapter bêtement le livre de Tolkien, Jackson avait saisi l'opportunité pour nous offrir une subtile introspection dans la profondeur d'une des races essentielles de la Terre du Milieu (curieusement sous-représentée dans Le Seigneur des Anneaux) et l'utilisait pour nous construire délicatement un roman d'apprentissage ? Un conte initiatique incroyablement retentissant car Jackson ne se contente pas de mener Bilbo, il mène le spectateur également. Je suis conscient que tout ceci peut vous paraître incroyablement tiré par les cheveux, après tout l'argent continue à régir le monde et il n'y a aucun espoir pour l'art dans ce monde de brutes, mais je vous prie de considérer la possibilité d'existence de cette réflexion et de ce message. Après tout, aussi farfelu et improbable que ça paraisse, la possibilité que ça soit vrai existe, et ça me suffit. Je préfère y croire.

Jackson ce génie !
Vagabond
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le 14 déc. 2013

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Vagabond

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