Bien des choses sont étranges dans ce film réalisé par Vittorio de Sica. A commencer par le fait que ce n'est pas vraiment le créneau habituel de Vittorio de Sica qui est plutôt de mettre en scène des milieux populaires voire défavorisés ("levoleur de bicyclette"). Ce que les gens instruits appellent le néoréalisme italien...


De Sica a réalisé un film grave et puissant, lent et angoissant. Le scénario est tiré d'un roman, semble-t-il très connu, de Giorgio Bassani que je n'ai pas lu.
Le scénario nous immerge dans un milieu de la grande bourgeoisie juive de Ferrare (au sud de Venise) de 1938 à 1943 dans une Italie où Mussolini, pour imiter ou obéir à son maître, met en place des lois antisémites de plus en plus contraignantes et radicales.
La famille Finzi-Contini possède une immense propriété et s'empresse d'accueillir la jeunesse de Ferrare à venir chez elle, jouer au tennis entre autres, puisque les accès aux clubs ou aux cercles d'étudiants sont de moins en moins autorisés aux juifs. Ces jardins deviennent un lieu clos très protégé où on veut ignorer ou on veut oublier la fureur qui se déchaine à l'extérieur.


Peu à peu, l'étau se resserre autour de la population juive et les jeunes étudiants ne peuvent plus fréquenter les universités, passer des examens. Peu à peu, le lieu protégé s'estompe sous la poussée des lois iniques et les gens finiront par être emprisonnés ou déportés : le jardin va se révéler une véritable souricière.


Dans ce contexte, Giorgio, fils d'une famille juive de Ferrare, moins aisée que la famille Finzi-Contini, est amoureux depuis sa tendre enfance de Micol Finzi-Contini. Lorsqu'il se déclare, il est repoussé par une Micol insaisissable, qui veut à tout prix conserver une indépendance, peut-être dans la crainte d'une réalité "extérieure" qu'elle refuse de voir, préférant vivre dans le souvenir et dans cet immense jardin dont elle connait tous les arbres.


Il est intéressant d'observer dans les comportements des personnages, un déni, une confiance parfaitement compréhensible en l'Etat car ils se sentent complètement intégrés depuis de longues générations et ne comprennent pas pourquoi ce même Etat se passerait brutalement d'eux. D'autant que la génération précédente avait payé un lourd tribut, comme tout le monde, pour défendre ce même Etat. Je pense d'ailleurs que ce déni n'est pas propre à Ferrare et à l'Italie. Bien des juifs, parfaitement intégrés, qu'ils soient autrichiens, allemands ou français, au fond d'eux-mêmes, ne se sentaient pas au départ menacés par ces lois antisémites.
Lors d'une discussion orageuse entre Giorgio et son père qui semble aussi dans un certain déni, ce dernier lâche (en substance) un "Mussolini est un homme meilleur que Hitler" !
Le comportement du père est tout-à-fait symptomatique d'une grande partie de la population qui avait fini par avoir confiance en un pouvoir autoritaire qui ne pouvait que la protéger. Rapidement, le père comme d'ailleurs Bruno, le copain de Giorgio, qui ne reviendra pas du front de l'Est, perdra ses illusions et cherchera à éloigner sa famille pour la protéger.
Le message de Vittorio de Sica en 1970, 25 ans après la fin de la 2ème guerre mondiale est parfaitement clair : il n'y a pas de fascisme anodin ou acceptable.


Côté casting,
Dominique Sanda interprète le rôle de Micol et joue très finement une fière jeune fille insaisissable terrifiée par la mort de son frère et par ce qu'elle refuse de voir à l'extérieur. Difficile de comprendre pourquoi elle se refuse à Giorgio alors qu'elle se donne à Bruno, non juif et communiste, qui part pour la guerre : d'autant que rien ne pouvait le laisser le supposer et qu'elle n'en tire aucune apparente satisfaction. Une manière de se préserver, d'affirmer une identité ?


Le rôle de Giorgio est assuré par un certain Lino Cappolichio, qui outre son amour contrarié, joue un des seuls personnages qui soit en prise avec la vraie vie et sait à quoi s'en tenir.
Romolo Valli joue le rôle du père de Giorgio qui lui décillera les yeux. On a déjà vu cet acteur dans "Le Guépard" de Visconti dans le rôle d'un jésuite, confesseur du Prince de Salina.
Le casting comprend aussi Fabio Testi dans le rôle de Bruno et Helmut Berger dans le rôle du frère de Micol.


Au final, Vittorio de Sica a mis en scène une parabole étrange et esthétique dans laquelle des jeunes gens beaux et insouciants vont rapidement se trouver aux prises avec une réalité terrible à laquelle bien peu ne pourront échapper.

JeanG55
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le 7 avr. 2022

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JeanG55

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