Récit du passage à l'âge adulte dans une société bourgeoise froide et exigeante, Le Journal d'une fille perdue est un film qui touche et qui frappe, tout en restant infiniment subtil.

Le film montre les errances de Thymiane, incarnée par Louise Brooks, après le suicide de sa gouvernante le jour de sa communion solennelle. Troublée, elle rejoint dans la nuit l'assistant libidineux de son père. De là naît un enfant qui jette le déshonneur sur la famille. Une fois l'enfant placé, Thymiane est envoyée en maison de correction, ce qui marque le début de ses déconvenues.

Si Pabst retrace la descente en enfer d'une jeune fille ayant perdue ses repères (sa mère est morte, la gouvernante qui faisait office de figure maternelle est renvoyée et s'est suicidée), il ne verse à aucun moment dans le pathos et va même jusqu'à donner un nouveau regard vers des situations qui nous choqueraient. Choquer, c'est le mot : Le Journal d'une Fille Perdue a été censuré à l'époque pour moralité scandaleuse. Comment une jeune fille peut-elle connaître le bonheur dans un bordel ? Comment peut-elle voir en une maquerelle un substitut de la figure maternelle alors que celle-ci ne perçoit que l'intérêt qu'elle peut en tirer ? Cela n'est pas relatif qu'à l'époque : le spectateur lui-même peut s'offusquer d'une telle prise de position. Mais qu'est-ce qui est condamnable, au fond : trouver de l'affection dans un milieu tel que la prostitution ou ne pas l'avoir reçu de sa propre famille pour des raisons d'intérêts et d'honneur ? Pabst n'hésite pas à bousculer les présupposés à ce sujet, donnant un film très innovant pour son époque.

Pour le reste, Le Journal d'une Fille Perdue prend des tournures de conte de fées mature. Fille d'un précédent mariage, Thymiane est un obstacle pour Meta, cette gouvernante qui va épouser son père et qui devient l'actrice majeure de la chute de la jeune fille. Pour résumer, nous avons notre princesse et notre marâtre. Malgré tout ce qu'elle a enduré et les habits sombres qu'elle arbore (ce qui contraste avec son vêtement blanc de communiante), Thymiane n'en restera pas moins pure moralement et n'affichera aucune velléité revancharde. Au contraire, la misère qu'elle a connu injustement, cette misère qui, contrairement à celle des contes de fées, n'a pas été enjolivée ne serait-ce qu'un chouillas, sera le moteur de son statut d'héroïne qui a commis des erreurs mais qui a réussi à les transcender.

Je finirai juste par l'incroyable travail sur les visages : les expressions des différents personnages sont tellement bien calculées qu'elles restent à jamais gravées dans les mémoires. Que ce soit la mine pure de Louise Brooks, celles, infiniment plus perturbantes, de l'assistant pharmaceutique ou du molosse du centre de redressement, ou encore le visage imperturbable de Meta, on peut qu'être impressionné par ces compositions, qui sont l’apanage du genre muet, mais placées ici à un niveau supérieur.
Nolwenn-Allison
10
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le 26 janv. 2014

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le 26 janv. 2014

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Nolwenn-Allison

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