Certains retiendront de La Viaccia la sulfureuse histoire d'amour entre notre Bebel national (incarnant Amerigo, jeune campagnard fuyant sa famille, ses racines et les valeurs locales) et Claudia Cardinale (putain intensément ravissante pour qui l'on vendrait son âme au diable sans la moindre hésitation), certainement la plus belle actrice de tous les temps.


Or tout cela, quoique constituant le noyau de l'intrigue et maintenant le spectateur en haleine, semble secondaire après coup. En effet, d'autres strates de signification, plus en profondeur, méritent davantage notre attention. Pour commencer, l'esthétique du film: la musique, les costumes (l'élégant maquereau, les catins corsetées en fine dentelle), les décors (somptueux et fastes intérieurs de la maison close) et surtout la photographie, superbe, rappelant le grand photographe du Paris nocturne, Brassaï, avec ses putains sensuelles et charnues enfermées dans des pièces enfumées à la clarté tamisée, les ruelles sinueuses aux courbes sombres, Florence de nuit éclairée par la lueur humide des réverbères et noyée sous le brouillard de l'Arno, la chaussée détrempée où luisent les pavés et passent des ombres.


En arrière-plan de l'histoire d'amour entre Amerigo et Bianca se trouve par ailleurs une opposition ville/campagne, proposant un tableau urbain d'une rare modernité, comme l'a peinte Baudelaire dans ses tableaux parisiens: population du bourg, souvent commerçants, devenant les nouveaux bourgeois; solitude et isolement des habitants n'ayant presque plus de liens familiaux, livrés à eux-mêmes dans une ville avide et sans pitié; la prostitution, l'évolution morale et le Mal comme gouffre délicieux où l'on se laisse tomber; … . Cette opposition ville/campagne n'est pas seulement sociale, économique ou morale, elle est aussi temporelle car elle marque la rupture entre un passé, lié à la terre, à la famille, à une certaine vertu et un temps nouveau (fin du 19ème siècle) où la ville devient le lieu du commerce, de l'avidité du gain et d'une évolution morale. Voilà ce que symbolise l'histoire transgénérationnelle allant de la mort du patriarche à l'errance du jeune Amerigo (Belmondo) en passant par la lente dissolution de la famille.


Pour conclure, si l'histoire, bien que détonante à la fin du 19ème siècle, ne nous transcende pas plus que ça, si ce n'est pour la volupté de C. Cardinale, et si la problématique morale (avidité contre luxure) nous semble dépassée, l'esthétique, elle, provoque notre admiration et vaut à elle seule le détour.

Marlon_B
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le 19 juin 2019

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