Comment la venue au monde d’un enfant, évènement souvent considéré comme le plus beau du monde, constitutif d’une famille, peut conduire au sentiment d’abandon et engendrer de la tristesse pour finalement mener à un geste de désespoir ? Après avoir exploré le même thème dans le court-métrage Le vol des cigognes, inspiré d’un fait divers, Iris Kaltenbäck signe un premier long-métrage d’une parfaite justesse dans lequel elle s’interroge sur les répercussions d’une naissance sur un ordre précaire établi, fragilement bâti sur l’amitié, la famille et la solitude.

Sortir de la très prestigieuse Femis représente un incontestable gage de qualité. Iris Kaltenbäck ne faillit pas à la règle : son scénario est d’une écriture sobre, fluide, naturelle et d’une logique implacable. En jouant sur la frontière ténue de la vérité et de la fiction, elle parvient à rendre le mensonge vraisemblable et rend possible ce grand geste de folie consciente – car à aucun moment Lydia n’ignore ce qu’elle commet. Celle-ci, vêtue de sa veste duveteuse rouge, accessoire incontournable, objet chaud, couvrant, couvant et maternel, subit tour à tour l’évolution de son entourage symétriquement : selon le principe des vases communicants cité dans le film, le bonheur de l’une engendre le malheur de l’autre, et vice-versa, si bien que lorsqu’elle quitte son copain dont elle est éperdument amoureuse, et que de l’autre côté Salomé lui annonce sa grossesse, une succession en chaîne se produit, mue au fond par l’envie, moins que par le ressentiment, la jalousie, dans laquelle elle se retrouve malgré elle emportée. Hafsia Herzi est absolument troublante et d’une justesse remarquable dans son rôle d’amie taciturne et douce et de fille paumée, dépourvue de mauvaise volonté mais confrontée, seule, au désespoir.

La narration en voix-off permet de réduire la charge dramatique du film, en renforçant en même temps le suspens, à la manière du film noir. Les décors, principalement nocturnes et intérieurs, participent à cette ambiance à la fois douce, paisible, silencieuse et solitaire, qui embrasse l’état d’âme d’une Lydia insomniaque et déboussolée dans le temps. Les scènes quasi documentaires d’accouchement s’emboîtent parfaitement dans la diégèse du film et confèrent au personnage de Lydia une crédibilité supplémentaire dans son rôle de sage-femme, à la fois très proche des nouveau-nés, responsable de leur survie à la naissance, mais irréductiblement étrangère à eux. Mention spéciale pour la belle-mère de Lydia, très crédible dans son rôle de mère slave à la fois protectrice et envahissante, dont la scène du repas familial joue un rôle crucial dans le développement du film et la mise en place du « geste final » auquel fait référence le titre – pression sociale, réveil de l’homme se sentant responsable et impliqué, rendant impossible la volte-face de Lydia désormais pris dans un engrenage sans issue.


Marlon_B
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le 19 mars 2024

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