Titre français: LE REFROIDISSEUR DE DAMES
Vu en VOstfr (la VO est ici indispensable pour profiter du jeu exceptionnel des acteurs)


C’est une tragicomédie sur fond de polar « serial killer ». Le titre original qu’on peut traduire par « Ce n’est pas une manière de se conduire avec une dame », ainsi que le titre français, laissent deviner le ton du film.
Christopher Gill (Rod Steiger), directeur d’un théâtre de Brodway, est obsédé par le souvenir incestueux de sa défunte maman (elle avait un grain de beauté sur l’aine confie-t-il ému à une victime), qui fut plus qu’une actrice célèbre ; sans doute pour échapper à cette emprise fantasmée il se met à étrangler des femmes d’un certain âge. Par son métier, il dispose, pour s’introduire chez ses victimes sans risque d’être identifié, de costumes divers (prêtre, policier, plombier, coiffeur, etc). Il dessine sur le front des cadavres une manière de trace de baiser avec du rouge à lèvres. Il se met à narguer la police et plus précisément l’inspecteur Morris Brummell (George Segal), pour lequel il a eu un coup de foudre en voyant le portrait dans le journal. Les propos du tueur envers le flic deviendront moqueurs et plus qu’ambigüs. « But you are gay ! » dira à Gill déguisé en coiffeur, une future victime. Gill répondra "It doesn't mean that you're a bad person". Le flic sera de moins en moins dupe de ce rapport homosexuel et en sera troublé.
Morris Brummell est un petit flic juif timide, vivant chez sa mère dominatrice (Eileen Heckart) ; c’est un curieux point commun avec le tueur. L’enquête va amener Morris à rencontrer puis à tomber amoureux d’une jeune femme pétillante, Kate Palmer (Lee Remick). Les problèmes de cette relation et ceux de l’enquête vont s’entremêler, d’autant que l’aspect sexuel est présent partout, le tueur tenant Kate pour une rivale.
William Goldman a écrit le roman original, alors qu'il était en pension. Il avait été inspiré par un article sur l'étrangleur de Boston, qui suggérait qu'il pourrait y avoir deux étrangleurs et non un seul. Goldman se demanda ce qui se passerait si deux « serial killers » agissant dans la même ville pendant la même période, sans se connaître, entraient en concurrence par jalousie.
Le roman d’abord publié en 1964 sous le pseudonyme d‘Harry Longbaugh (alias Sundance Kid) a été réédité sous son vrai nom en 1968 ; son succès a permis à Goldman d’être recruté par par Cliff Robertson pour adapter « Flowers for pour Algernon » (sorti en France sous le titre Charly). Robertson décrocha un Oscar d’interprétation pour le film et ce fut le début de la carrière de scénariste de Goldman (Butch Cassidy et le Kid, Marathon man, Misery, Coeurs perdus en Atlantide, et Dreamcatcher ).


Le film est une réussite totale ; le scénario, signé John Gay ( ?) après « La guerre des cerveaux » et avant « Soldat bleu », est assez fouillé et surtout, l’histoire policière et le côté thriller pur sont allégés par une romance jamais mièvre et plutôt amusante. L’équilibre des genres est absolument maîtrisé et on suit paradoxalement avec autant de joie que de malaise les différentes séquences de l’aventure. Les conversations et tous les dialogues sont superbes. Les rôles sont tous joués à la perfection avec piquant mais sans caricature.
Rod Steiger, juste après son Oscar d’interprétation 1967 pour « Dans la chaleur de la nuit », a été très sollicité et, grand acteur de théâtre et « character » dans de nombreux films, il ne pouvait pas ne pas se laisser séduire par ce rôle de dingue à transformations permettant de cabotiner à loisir. Il y avait là, toutefois, le danger d’en faire trop. Mais ce risque a été évité. Rod Steiger confirme, s’il en était besoin, qu’il est un comédien hors du commun. Il s’en donne à cœur joie pour notre plus grand plaisir. Tueur sifflotant comme Lorre dans M le maudit ; il nous gratifie même d’une imitation de W.C. Fields, huit ans avant de le personnifier dans « W.C. FIELDS AND ME ». Epoustouflant ! Le rôle l’autorisait à en faire des tonnes, il ne s’est pas retenu, et il a eu, cette fois, bien raison.
George Segal (le Woody Allen beau gosse) et Lee Remick (qui est toujours admirable) sont parfaits dans le jeu léger typique de la comédie sentimentale américaine : On jubile avec George Segal, un peu timide et bousculé par sa mère dirigiste. On fond avec Lee Remick, subtile dans le rôle très amusant de cette jolie blonde qui ne veut pas qu’on méprise son intelligence ; la scène de sa rencontre avec la mère de Morris est notamment formidable.
On peut citer aussi, entre autres bons moments, la scène cocasse du nain (Michael Dunn irrésistible) qui vient revendiquer les meurtres au commissariat.
C’était l’âge du « nouvel Hollywood » pour la réalisation ! Jack Smight , à la filmographie inégale (« Détective privé », « L’homme illustré », « La bataille de Midway », « Evasion sur commande », « 747 en péril ») a beaucoup tourné pour la télé et joue, la caméra sur l’épaule avec les lumières naturelles.
Un film vif, intelligent et curieusement méconnu en France que je recommande chaudement.


AD : A Brodway, une comédie musicale fut tirée de ce film en 1987 et reprise en 1997.

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le 29 avr. 2015

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