Le Trône d'Enfer

Ne biaisons pas avec la réalité, le film s'en charge très bien lui-même. Le Roi n'a pas envie de jouer au jeu de la reproduction fidèle et de l'adaptation servile, n'en déplaise aux historiens ou aux amoureux de la littérature Shakespearienne que le film ulcère. Si David Michôd pioche dans le patrimoine, ce n'est pas pour en livrer une énième itération avec plus de sang. En réalité, le réalisateur Australien opère à un renversement quasi-intégral des figures historiques pour jeter un regard désabusé sur l'exercice du pouvoir, corrupteur des cœurs les mieux disposés.
Victorieux ou déchus, les monarques n'en restent pas moins pitoyables dans leur aveuglement face à leur propre réalité. Si Le Roi demeure une tragédie, c'est parce que le récit reprend la thématique chère à Michôd de la cellule familiale en décomposition. En l'occurrence ici, la famille politique ou le royaume, gangrené par les intrigues en sous main, créature rendue difforme par les membres gonflés d'avidité et les organes pourris par la corruption.
Pour ne rien arranger, le grand final enfonce le clou en démontrant que la dégénérescence ne se limite pas à un seul côté de la frontière. Une lucidité qui confère à l'œuvre une bien belle noirceur, dans lequel le réalisateur cloisonne ses personnages. La mise en scène, clinique sans être distante, joue à merveille avec l'oppression funèbre qui préside à ce château de cartes bâti sur un monceau de cadavres et de mensonges. Un sentiment également mis en valeur par la photographie blafarde mais sublime d'Adam Arkapaw.
Timothée Chalamet compose une version alternative d'un Henri V lumineux promis à de bien sombres désillusions (et transformations). Belle surprise également de retrouver un Robert Pattinson odieusement jubilatoire. Il n'y a pas à dire, le comédien construit une filmographie des plus intéressantes.
Le Roi se heurte néanmoins à un mur des plus résistants, puisqu'il concerne sa raideur, un parti pris anti-climatique qui paradoxalement confère au film un rythme un peu lâche. C'est dommage car sur un tel sujet, on pouvait aisément arriver à de purs sommets dramaturgiques (Shakespeare en sait quelque chose). La noirceur aurait pu être plus éclatante, quoique l'idée de réinvestir les garants du trône pour mieux les faire déchoir est déjà plus que réjouissante.