Dès le départ, on sent qu’il y a un problème. Si visuellement, le film est une réussite, le scénario va trop vite : les deux personnages principaux, les deux frères, et leurs relations conflictuelles, si elles sont bien posées, d’emblée, leurs relations avec le monde qui les entoure, et les connexions entre d’une part les deux frères (l’un, un rêveur talentueux mais trop détaché du réel, et l’autre, un médiocre plein de ressentiment), et d’autre part le monde qui les entoure, leur famille, et leur ressenti à l’égard de leur place dans ce milieu, ne sont pas assez développés. La conséquence est directe : on n’entre pas dans un récit rapide, qui n’attend pas le spectateur pour s’engouffrer dans une succession épileptique de péripéties : en s’agitant, le scénario se dispense de raconter. Plus on s’engage dans ces péripéties, plus mon implication s’est trouvée éloignée du récit. Passé la séquence de cette sorte de bagne totalitaire post apocalyptique assez intéressante, plus aucun élément de l’intrigue ne prendra la peine d’être posé, l’action prévalant systématiquement sur la narration : les nouveaux personnages, jamais vraiment introduits, apparaissent creux, n’existant que pour l’action.
Pour rester sur le scénario, j’ai trouvé certains éléments assez regrettables. Par exemple, lorsqu’un hibou décide de sauver le personnage principal et la chouette du désert, volonté qui sort d’ailleurs de nulle part, et est expliquée après l’acte, alors que si l’univers avait été correctement posé, le spectateur aurait assimilé ce genre de données dès le départ, alors que finalement, on lui introduit les éléments de l’univers au fil du récit, au gré des besoins du scénario, ce qui donne une impression d’incohérence globale de l’œuvre (et c’est aussi en partie cela qui bloque, dès le départ, toute implication personnelle du spectateur). Ce moment devrait être assez émouvant, et il l’est en effet, sauf l’émotion du spectateur se trouve plombée par le comportement du héros et de sa compagne, qui, dès leur sortie de la zone à risque, semblent oublier la mort de ce personnage qui s’est sacrifié pour eux (moins de deux minutes avant) ; un contraste entre l’émotion des personnages et celle du spectateur, qui, choqué, ne peut que sortir totalement du film. C’est à ce moment-là ,pour ma part, que j’ai complètement décroché. Dans le Seigneur des Anneaux, pour comparer, après la « mort » de Gandalf le Gris, on assiste au moins, à la sortie de la Moria, à la tristesse des héros. Ici, rien de tel, puisque seule l’action compte.
Cette action, d’ailleurs, et paradoxalement, est brouillonne : on ne comprend rien, malgré les ralentis (bien employés uniquement dans les dialogues) à ce qui se passe. Le pire étant la brièveté des moments où les pierres bleues, dont on ne sait jamais rien, agissent sur les personnages : on voit quelque chose, durant une fraction de seconde, sans comprendre ce qui se passe.
Restent les thèmes. Ceux-ci sont nombreux, intéressant. La légende de Ga’Hoole, sur ce point, apparaît comme la preuve qu’un scénario, s’il introduit des thèmes intéressants, portant à la réflexion, ne suffit pas à faire un bon film : sans un récit structuré, sans des personnages solidement posés, avec identité et logiques propres, les thèmes véhiculés ne portent pas. Un bon thème est comme une bonne flèche, et la qualité du récit comme un arc : si celui-ci est mauvais, la flèche ne portera pas, et n’atteindra pas sa cible.
Parmi les thèmes intéressant, j’ai relevé celui de la légende et de son rapport à la réalité historique, avec cet embellissement mythique d’une histoire racontée oralement par le père, qui va contraster avec la réalité historique de la chronique écrite, véhiculant l’horreur d’une guerre qu’on ne retrouvera d’ailleurs pas par la suite, lorsque ce sera au héros d’être au cœur de la guerre (il y a bien du feu et des combats, mais la souffrance n’est pas représentée).
Autre thème intéressant, celui de l’élévation du médiocre au sein d’un groupe qui, même s’il fait le mal, s’attire son adhésion, et va le pousser à se transcender. En ce sens, l’évolution du personnage du frère du héros m’apparaît suffisamment complexe pour être intéressante, avec un traitement qui met en valeur l’absence de manichéisme de cet élément de scénario, puisque si le frère adhère, ce n’est pas en raison de considérations manichéennes, mais parce que cette organisation lui donne un rôle que sa médiocrité, vis-à-vis de son frère, ne lui aurait jamais permis d’acquérir dans son milieu d’origine. J’ai particulièrement trouvé intéressante l’absence de regrets de ce personnage, qui, lorsqu’il a l’occasion de revenir en arrière, refuse, pour aller au bout de sa logique (quand il décide de livrer sa propre sœur aux méchants).