Le Seigneur des Anneaux
5.6
Le Seigneur des Anneaux

Long-métrage d'animation de Ralph Bakshi (1978)

J'ai pu lire tout et son contraire sur cette première mise en images du chef-d'oeuvre de Tolkien. D'aucuns médisaient sur la qualité aujourd'hui dépassée des effets spéciaux, sur la pauvreté des effets ; d'autres préféraient la fidélité de cette adaptation à celle de Jackson et professaient une certaine tendresse à son égard. Jackson lui-même a fini par confesser, après avoir nié, qu'il s'était inspiré du film de Bakshi, et certains y voient une belle réussite tragiquement lâchée par ses producteurs quand d'autres considèrent le film comme un ratage kitsch à regarder par pure curiosité.


Je me lançai donc, armée de tous ces préjugés, dans le visionnage de ce film. Rappelons rapidement qu'il sort en 1978, après deux ans de tournage épuisant. Bakshi récupère un projet initialement porté par John Boorman qui avait un scénario condensant les trois livres en un seul film ; lui veut rester le plus proche possible de l'oeuvre de J.R.R. et pond donc un scénar pour l'adapter en deux films, le premier adaptant La Communauté de l'Anneau et Les Deux Tours, et le second consacré au Retour du Roi. Mais le jour de la sortie, contre l'avis du réalisateur, le film est marketé comme The Lord of the Rings, sans la mention "Part One" qui aurait précisé qu'on attendait une suite. Et de fait, de suite, il n'y eut jamais (quoique le t. III ait été adapté en 1980 par un studio américano-japonais avec un résultat fidèle à la lettre mais absolument raté).


Pouf, pouf.


Visuellement, le film est pour moi une réussite, tant technique que créative, et c'est là à mes yeux le vrai point fort de l'oeuvre de Bakshi. Il mêle dessins à la main et prises de vue rotoscopiques, où de vrais acteurs (parfois plusieurs centaines à l'écran) sont d'abord filmés, puis réintégrés à la bobine et redessinés (je ne suis pas experte et Wikipédia vous expliquera ça mieux que moi). Le tout est pour moi très intéressant, on peut sans doute trouver ça dépassé aujourd'hui mais j'ai toujours préféré l'artisanal bien fait et inventif qui assume ce qu'il est, plutôt que le photoréalisme à outrance.


Bakshi est le roi des jeux d'ombre, de la saturation des couleurs et du noir sur fond rouge. Il se dégage du film une vraie animalité, parfois une sauvagerie incroyable dans les scènes de combat, qui sont du reste très nombreuses. Le film est violent, pas seulement dans ses gestes mais dans la façon de les présenter, de montrer longuement des cavalcades et des charges de combattants sombres, presque flous, qui massacrent à tour de bras dans une atmosphère crépusculaire. La musique derrière est pesante et de nombreuses scènes sont proprement effrayantes. Avec tout le bien que je pense de l'aspect visuel de l'adaptation de Jackson, je n'ai jamais ressenti l'angoisse que certaines scènes du film de Bakshi m'ont inspirée, et c'est entièrement dû aux choix de réalisation.


Quant au reste, eh bien, c'est plus mitigé. Le film n'est pas infidèle en soi, et ne tente en tout cas aucune modification conséquente des dialogues ni des personnages - contrairement à l'adaptation de PJ. Néanmoins, condenser deux livres denses en un film de 2h30 oblige à de grandes coupures, et on arrive ainsi au bout d'une heure vingt à la mort de Boromir : voilà un bon repère pour constater à quel point Bakshi est contraint d'aller parfois très vite. Et de fait l'intrigue est extrêmement résumée : le début dans la Comté est expéditif, Fondcombe n'existe que dans le lit de Frodon et le Conseil, et la Lorien est résumée en une minute. Difficile, je crois, de s'y retrouver quand on n'a pas lu Tolkien, ce qui devait de fait être le cas d'un certain nombre de personnes en 78. Les personnages sont bien caractérisés pour les plus importants d'entre eux, et je suis assez fan de Gandalf et des Hobbits (même si d'une scène à l'autre Merry et Pippin, l'un blond et l'autre brun, échangent régulièrement d'identité !), ainsi que de la représentation des Nains.


Jackson doit certainement beaucoup à Bree telle qu'elle apparaît dans ce film, en particulier pour l'ambiance à l'auberge et bien sûr pour la scène, absente des livres, où on voit les Nazgûl taillader les lits vides. La scène du tombeau de Balin dans la Moria également, et la dernière discussion de la Compagnie avant la trahison de Boromir. Il aura repris pas mal d'autres scènes et idées, et le film ne manque pas d'inventivité, c'est un fait.


Mais à force d'aimer les scènes de bataille oppressantes et les atmosphères sombres, et à force de raccourcir et synthétiser l'intrigue, Bakshi nous perd et perd beaucoup des enjeux du livre. Croyant être fidèle à la lettre, il perd l'esprit. Le film est parfois très lourd, car excepté quelques répliques de Sam, il y a peu de légéreté, pourtant apanage par excellence du Hobbit en toutes circonstances. Il y a peu aussi des enjeux de cette guerre et de cette quête : expédier en une minute l'explication sur l'Anneau, ça diminue d'autant les enjeux autour de Sauron et de cette guerre, fatalement. Que dire d'Aragorn, dont on ne nous dit que très incidemment qu'il est l'héritier d'Isildur, sans vraiment expliquer tout l'enjeu même du retour d'un roi au Gondor ?


Bien sûr, nous ne saurons jamais ce qu'avait prévu Bakshi pour Le Retour du Roi, et sans doute bien des limites de ce premier opus auraient été compensées. En attendant, on a là une oeuvre étrange, dont l'audace et l'identité visuelle sont indéniables, pas plus que la volonté d'être fidèle à Tolkien ; mais en même temps, l'intrigue réduite au strict minimum nous perd et les enjeux du film deviennent, surtout dans la seconde partie, des combats dont on perd presque le sens. J'en retiendrai des scènes de bataille presque hallucinées, en particulier le siège de Fort-le-Cor avec les chants obsédants des Orcs et le fond rouge omniprésent. Dans ces scènes, je retrouve une magie que suscitent en moi les tous premiers films de l'histoire, une force du visuel et de la narration sans paroles qui m'impressionne et me rappelle, quelque part, les Nibelungen version Fritz Lang par exemple. C'est superbe, impressionnant, angoissant et saisissant, et c'est pour moi là où Bakshi réussit le mieux.


Pour le reste, il est clair que Jackson, avec toutes les limites propres à son adaptation (bien trop américanisante à mon goût, et puis, il a saccagé Faramir et Gimli), a bien mieux su saisir l'essence de l'oeuvre de J.R.R. Tolkien et les enjeux fondamentaux de l'intrigue. Il ne s'agit pas néanmoins de juger ce film à l'aune de ce qui n'existait pas encore, mais il semble évident que les enjeux scénaristiques sont en partie perdus, et que la réussite visuelle pour moi indéniable ne suffit pas à en faire une bonne adaptation. Saisissante, certes, mais si imparfaite !

Kabouka
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le 3 mai 2017

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