Sebastien Salgado est riche, blanc, et possède un appareil photo. Son métier: prendre en photo des petits enfants noirs pauvres pendant qu'ils sont en train de mourir de faim, en faisant attention que la lumière et le cadrage soient parfaits. Surtout, ne pas les aider. Ne pas donner à boire ou à manger au sujet de la photo, cela pourrait ruiner un cliché "artistique". Non, on vise dans l'appareil et on attend que le dernier soupir soit poussé, que la vie ait quitté le sujet, quel qu'il soit. Travailleur de l'extrême, enfant, animal, parent portant ses enfants blessés ou mourants dans ses bras, peu importe pour Salgado. Salgado ne pleure jamais. Salgado ne ressent rien. Il photographie, c'est tout. Comme si son appareil le protégeait des sentiments et de l'empathie qui feraient de lui un être humain normal. D'ailleurs, il ne va quand même pas demander aux gens qu'il photographie une autorisation d'utiliser leur image à des fins commerciales, faut pas rêver. Des fois qu'ils oseraient demander de l'argent pour manger, s'habiller ou juste survivre. Pourquoi irait-il jusqu'à laisser un père enterrer ses enfants dans l'intimité et la douleur, alors que cela ferait une si belle photo. Non, l'important, pour lui, c'est de bien cadrer cette mort omniprésente, cette misère absolue dans son appareil, et d'appuyer sur la détente au bon moment. Pour pouvoir ensuite gagner des milliers de dollars avec la représentation de cette pauvreté (le livre Genesis paru chez Taschen coûte 3000 euros), ou vendre ses clichés dans des salles des ventes réputées, à des collectionneurs et hommes d'affaires richissimes, qui trouveront ça magnifique, toute cette misère, une fois accroché au-dessus de leur bureau. Alors, oui, Salgado prend de belles photos (que j'ai du mal à regarder sans éprouver malaise et honte). Mais l'être humain sans aucune compassion dont le film fait l'éloge, cet homme froid comme un soldat, je n'en ai rien à foutre. Peut-être devait-il agir plutôt que de rester passif devant les scènes qui se sont déroulées autour de lui. Aucune photo, aucune œuvre d'art au monde ne justifie d'empiéter sur l'intimité de morts ou de gens souffrants. Aucune forme de reconnaissance quelle qu'elle soit, ne justifie de rester passif face à l'horreur. Cette absence totale de responsabilité et d'empathie devant les horreurs du monde, cette justification malsaine de la souffrance des pauvres pour des prétextes esthétiques et bourgeois qui plairont aux riches, m'empêchent grandement de considérer ce film.
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le 18 nov. 2014

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