Ce film est l'adaptation au cinéma d'une nouvelle de Vercors publiée sous le manteau et à Londres en 1942.
Il faudra d'ailleurs pas mal d'années à Melville pour en obtenir les droits ; il ne les obtiendra de façon presque rocambolesque qu'après une réalisation presqu'en cachette, avec des moyens limités et après un avis d'un comité de résistants qui en était la condition sine qua non.

Le résultat est superbe peut-être à cause des faibles moyens exigeant de l'ingéniosité de la part du cinéaste. Ce film, qui est la première œuvre de Melville en long métrage, confine à l'épure du film de Résistance.

D'abord, il y a un respect absolu du texte, du mot à mot parfois. Certains mots, un peu désuets aujourd'hui, sont même repris. Le "torpédo" de l'officier allemand, par exemple.
Reste le cadre de la mise en scène qui se fait dans la maison même de Vercors. L'utilisation par Melville du froid de l'hiver et de la neige accentue l'aspect dramatique et repoussant de l'Occupation.

Le montage est d'une grande habileté à travers un flash-back puisqu'un passeur laisse une valise qu'un quidam ouvre découvrant le livre de Vercors qui lance le générique. A la fin du film, le narrateur achève la dernière phrase du livre. Ce montage est fait pour donner au spectateur l'impression et la preuve de la transcription littérale de l'ouvrage.

La plus grande liberté que prend Melville vis-à-vis du scénario concerne les deux permissions que l'officier allemand utilise pour visiter Paris et qui sont beaucoup plus explicites et efficaces dans le film que dans le livre. Dans la nouvelle, l'officier est plus évasif dans son "compte-rendu". Dans le film, la première permission n'est que la découverte d'un Paris de carte postale intemporel dans laquelle il est le seul allemand face aux monuments parisiens. La deuxième permission montre un Paris avec beaucoup d'allemands, de camions militaires, de panneaux bilingues et surtout d'anciens camarades (officiers dans la Wehrmacht et dans la SS) rencontrés dans un mess qui lui ôtent toute illusion. Cette terrible permission est une vraie rupture chez l'officier allemand, dans le film comme dans le roman car toute la construction d'une hypothétique réconciliation entre les peuples élaborée jour après jour n'est plus qu'une vaste chimère.

Restent les acteurs
Il faut bien sûr commencer par le très beau jeu d'acteur d'Howard Vernon dans le rôle de l'officier allemand romantique, très instruit et francophile. Faut-il qu'il ait été sacrément manipulé pour ne voir dans la guerre et surtout l'occupation de la France par l'Allemagne qu'une étape nécessaire avant une reconnaissance et une réconciliation mutuelle ? Le jeu de l'acteur est aussi complexe lorsqu'il quitte son uniforme dans un souci d'apaisement vis-à-vis du vieil homme et de sa nièce lors de ses monologues vespéraux. Et lorsque les masques vont tomber, l'infinie tristesse qui envahit l'officier est extrêmement émouvante car on devine qu'il ne lui reste guère de solution après son échec personnel.

Les rôles mutiques du vieil homme assuré par Jean Marie Robain et celui de la nièce assuré par Nicole Stephane.
Le personnage de la nièce est lui aussi assez complexe car tout passe par l'expression du visage et par l'expression de son maintien. On voit peu à peu le mépris éprouvé au début pour cet occupant violant leur intimité se transformer en une sourde attention puis une vraie attention avant de devenir une attente. Chaque fois que je regarde le film, je me demande dans quelle mesure Melville n'a pas voulu forcer le trait et montrer un début de sentiment amoureux.
Le très gros plan du visage de l'actrice qu'on voit en photo dans de nombreux ouvrages de cinéma est tout simplement sublime.

Ce film montre que l'absence de moyens ne saurait être un frein pour faire un grand film.
Melville a réussi un film un peu théorique mais redoutablement efficace en utilisant la puissance d'un silence, en travaillant l'expression des acteurs. Il saura réutiliser ces principes de tournage dans "l'armée des ombres" ou encore le "samouraï"

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le 7 déc. 2021

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JeanG55

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