«C'est bien une plantation d'arbre, mais peut-on appeler ça une forêt ?»


Voilà, dès les premières minutes du documentaire, la question que se pose un des personnages présenté au milieu des arbres. Cette interrogation, qui servira de trame pour ce documentaire de François-Xavier Drouet, traverse l’œuvre en insistant sur les enjeux sociaux, environnementaux, économiques passés, présents et futurs que ce questionnement implique.


Donner la parole


Le documentaire laisse place au(x) sujet(s). Là dessus, il n'y a aucun doute. Qu'il soit humain, mécanique ou végétale, les sujets sont au cœur du film et leur donner la parole est un objectif primordial. A l'exception de quelques questions posées par le réalisateur, orientant parfois le discours, F.-X. Drouet comme l'équipe du film reste discret pour laisser les personnages donner leur opinion, ou simplement pour les filmer in situ. La mise en scène à la fois simple et réfléchie donne le temps au spectateur de découvrir le monde qu'on lui présente sans jamais que la forme ne tente de dépasser son sujet. On notera d'ailleurs l'absence de musiques ou de bruitages jusqu'au générique final, afin de laisser place aux paroles, aux bruits mais aussi aux silences.


Une géographie de la forêt franco-française


Plateau de Millevaches, Massif du Morvan, Landes de Gascogne, Vosges, Montage Noire : si vous n'étiez pas familier avec la géographie forestière française, vous voilà dorénavant expert. La dimension pédagogique du documentaire saisit à tous les instants. Les forestiers filmés, passionnés par leur métier, ne cessent de partager leur savoir pour combler notre ignorance du sujet avec toujours beaucoup de retenue. Toutefois, pas certain que l'on retienne l'origine du sapin de Douglas ou la quantité de mètre cube à l'hectare qu'une chesneraie est capable de produire par an. Normal. Sans nier cette ambition, il semble que l'essence-tiel du film soit ailleurs.


Dé- contre mal-


Conscient des problématiques environnementales qu'impliquent le sujet traité, le réalisateur souhaite remettre en cause quelques poncifs que le discours public et médiatique semble ruminer sur la question forestière : depuis le XIXe siècle, la surface de la forêt française ne cesse de s'accroître. Derrière cet accroissement continu de la surface, il reste important de se questionner sur la qualité de ces nouveaux espaces boisés. Ainsi, à l'image de la nutrition, la gestion forestière en France et plus généralement dans les pays développés doit faire face à des problèmes de mal-forestation plutôt qu'à des problèmes de dé-forestation. Le débat forestier ne doit pas être simplifié à une question binaire où la forêt existerait lorsque des arbres sont débout, et où elle n'existerait pas lorsque les arbres sont absents (cf. l'interrogation posée en introduction). Étant donné que la gestion des forêts doit s'adapter aux logiques de productions, aux délais de la sylviculture moderne et aux besoins des différentes filières d'exploitation du bois, il est important de prendre en compte de nombreuses variables pour évaluer la qualité des forêts françaises.


D'un manichéisme à l'autre


Alors, oui, nous comprenons rapidement que le débat sur les forêts est complexe et qu'il ne peut se résumer à l'opposition : "présence d'arbres" contre "absence d'arbres". Pour nous éclairer et comprendre les multiples enjeux qui se cache derrière ce débat, les acteurs de la filière sont interrogés en présentant chacun leurs actions et leurs points de vue. Cependant, alors que l'objet premier du film est de remettre en cause l'analyse binaire présentée précédemment, les sujets choisis semblent recréer un manichéisme combattu ailleurs. Les acteurs mobilisés pour une gestion durable de la forêt font face aux acteurs répondants aux logiques d'une sylviculture ultra-mécanisée et globalisée. D'un côté, le forestier passionné regrettant un mode de gestion pluriséculaire soucieux de la biodiversité et d'un autre, l'industriel parisien en costard cravate à la botte des entreprises multinationales américaines. Soit un David contre Goliath de la gestion des forêts. Dans chacune des régions présentées, les postures sont identiques. On remplace l'accent landais par l'accent vosgien mais l'histoire, les combats restent les mêmes.


Une fenêtre pour la nuance


On peut donc regretter la répétition des propos et des situations, ainsi que le manque de finesse dans le choix des personnages qui sont filmés. A cette dénonciation du manichéisme, il pourrait être rétorqué que celui-ci est inhérent au sujet et que ce n'est pas le but du documentaire de dénaturer la situation réelle, mais plutôt de l'éclairer. Certes. Cependant, quelques fois dans l’œuvre, on évoque ces positions "d'entre-deux" qu'il aurait été judicieux d'explorer davantage : ni totalement bon, ni totalement mauvais. La situation d'un salarié travaillant sur sa machine près de 10 heures par jour à la solde de cette gestion industrielle des forêts permet, par exemple, de rappeler qu'il s'agit de comprendre des situations et des postures, plutôt que des Hommes intrinsèquement bons ou mauvais.


Malgré une forme plutôt neutre, il est impossible de ne pas voir les prétentions militantes du documentaire. Bien sûr, il est impossible de s'ériger contre ces intentions dont les objectifs sont louables à mille égards, toutefois, regretter le refus de l’œuvre d'explorer la nuance alors que celle-ci est effleurée, semble tout aussi justifiable.

DrCell
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le 13 sept. 2018

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