John Frankenheimer vous convie à bord de son Train pour une sacré embarquée cinématographique.
John Frankenheimer est un réalisateur que j'aime vraiment, toujours enclin à expérimenter de nouvelles choses dans ses films (enfin moins sur ses films modernes, mais c'est une autre histoire). On sait tous que Grand Prix fut une véritable révolution, et imposa de nouveaux standard dans la captation des courses. Standards qui sont aujourd'hui encore utilisés par la télévision et nombre de films. J'aime moins Seconds, qui pourtant expérimente des tas de choses, mais je pense que j'étais très mal luné lorsque je l'ai vu, et que je suis passé un peu à côté. Il aura donc une autre chance. Bref, je reviens à mon propos.
Le Train part d'un propos fort intéressant : la valeur de l'art au sein d'une guerre. Pas n'importe quel art, puisqu'il s'agit en plus du type précis d'art qui était méprisé par les Nazis, un art considéré comme dégénéré (avec des artistes tels Gauguin, Picasso, Renoir...). S'en suit une formidable histoire suivant les actes de la résistance pour que les Allemands n'emportent pas en Allemagne ces grandes œuvres d'art, dans un fameux train.
Le train. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Frankenheimer sait le filmer, son fichu train ! Il y a quelques temps (certains vont me jeter des cailloux pour ça), je disais que Tony Scott savait justement filmer les trains dans Unstoppable, les rendre puissants, impressionnants. De vraies bêtes. C'est ici la même chose. Frankenheimer est un cinéaste qui est connu pour jouer sur l'optique, jouer sur les cadrages et les travelling pour mettre en valeur bien des choses. Ce film n'échappe pas à la règle. Le découpage est juste parfait, alterne prises avec une grue et caméras au sol près des rails avec brio. Frankenheimer n'hésite pas à faire des travelling qui durent, qui bougent en avant, en arrière, à droite, à gauche, quitte à ce qu'il y ait 200 boches, 4 jeeps et 2 tanks dans le plan à bouger sans cesse.
Puis cette photographie... Splendide. Le film est en noir & blanc. Au début, j'étais un peu "déçu" par ce choix, dans la mesure où l'on voit des grands tableaux de maitres dans les salles du Jeu de Paume, et qu'on aimerait que ce soit en couleur. Sans parler des uniformes Allemands, que je trouve considérablement encore plus classes en couleur. Mais non, le film est parfait en noir & blanc, car Frankenheimer sait le maitriser. Il y a peu j’écrivais sur un film, Le Bal des Maudits, se passant aussi pendant la Seconde Guerre Mondiale, qui lui n'avait aucun intérêt à être en noir et blanc, qui plus est un noir et blanc sans photographie vraiment géniale. Frankenheimer sait sublimer cette pauvreté de couleurs. Le Train est un film où la vie résidant dans la couleur n'a pas sa place, de toutes manières.
Ce qui m'intrigue, chez Frankenheimer, c'est qu'au milieu de cette réalisation qu'on trouve "très bonne", il glisse deux ou trois angles de caméras qui eux font toutes les différence dans certaines séquences. Je pense par exemple à la séquence avec le Spitfire qui mitraille, il suffit juste que l'angle au sol soit parfait lors de l'approche de l'avion, le tout couplé à une caméra embarquée sur la carlingue, et boum, on a vraiment peur de se faire mitrailler. Par un Allié, en plus. Le tout couplé à une notion de rythme et de suspens assez puissante, au fur et à mesure que notre stress augmente en cadence avec les mécanismes de la locomotive, de cette bête qui crache autant de fumée qu'elle fait de bruit. Idem lors d'une autre séquence avec un passage de bombardiers. Génial.
Bon, assez parlé de la réalisation. Je pourrais encore en faire 25 pages, mais il suffit. On se laisse rapidement absorber par la qualité de l'écriture, qui malgré certains manichéismes (y'a beaucoup de résistants, peu de collabos), rendre finalement plausible une histoire assez invraisemblable. Mais bon, on dit que la guerre conduit les hommes à toutes sortes de folie, pourquoi certaines ne seraient-elles pas bonnes ?
Idem pour le cast. Une partie de moi regrette que tout soit en Anglais, mais bon... On s'y fait, à terme. Et puis c'est un Anglais qui est rugueux, qui sonne tantôt l'Allemagne, tantôt la France. Donc ça va. Lancaster est bon. Il se salit, et sait se fondre avec les cheminots, la loco. Puis les acteurs font vrais, autant que les personnes. A une époque où Hollywood impose des GI's Américains niquels tels John Wayne (bon faut avouer, j'ai rien contre non plus), Frankenheimer plonge la tronche de ses acteurs dans le cambouis. Ne serait-ce que Papa Boule, interprété par le grand Michel Simon. C'est con, mais il rendait tellement vrai, ce vieux cheminot tout crasseux, ça m'a rappelé mon grand père. Bref, je me perds.
Vous l'aurez compris, Le Train est un film qui m'a beaucoup plus, et sur lequel j'aurais beaucoup à dire. D'autant plus que je l'ai vu au cinéma, et que la copie numérique était un modèle de restauration. Un film que je conseille vivement.