Les amateurs de comédie noire doivent se précipiter sur celle-ci, particulièrement poivrée. Ce ne sont que corps plongés dans des bains d'acide, puis déversés dans le jardin avec un clapotement obscène, jeunes filles tuberculeuses dont on cherche à hâter la mort, scènes d'un érotisme sadien entre bourreaux et futures victimes, caresses obscènes à côté de corps en décomposition. Une minute et demi après le début du film, une grand-mère est déjà morte, et c'est le premier gag. Qu'un tel film ait pu être réalisé en France avec deux des plus grandes stars de l'époque, voilà qui force l'admiration. François Girod a provoqué en duel toutes les règles de la bienséance à l'écran, et il est sorti victorieux. Grâce lui en soit rendu !


Au sujet de ce film, on parle assez souvent de vision critique de la société d'après-guerre. C'est certain, et il y a un peu d'Otto Dix et de Georges Grosz dans tous ces visages blafards de marionnettes, dans le jeu d'histrion un peu mécanique de Michel Piccoli, ou dans la beauté froide de Romy Schneider. Mais on sent que ce qui a fasciné le réalisateur est moins l'époque - à laquelle il est fait, somme toute, relativement peu de référence - qu'une certaine possibilité qu'offrait ce fait divers d'exprimer une sensibilité attirée par la métamorphose des corps et leur décomposition, tout comme, dans un autre ordre d'idée, la réversibilité constante des positions sociales - et donc leur vanité corrélative. Girod filme avec un enthousiasme inquiétant ce qu'on pourrait appeler le devenir-bouilli de l'espèce, et l'époque, de ce point de vue là, n'est qu'un prétexte à la manifestation d'une misanthropie féroce, dont les criminels sont comme les héros paradoxaux. On n'oubliera pas de sitôt Piccoli en marmiton diabolique attifé d'un masque à gaz, touillant un reste de cadavre dans sa baignoire tandis que l'une de ses complices va se faire tranquillement un plat de pâtes.


Il n'y a aucune morale à chercher dans ce film, qui parfois se fait étouffant par son nihilisme guilleret. On retrouve un peu de la sensibilité anarchique qui faisait le charme du Voleur, de Louis Malle, quelques années plus tôt. En dehors de son aspect provocateur, le tout n'est pas dénué de très belles idées visuelles, comme ce baiser sur des lèvres trop rouges, qui, en étalant le maquillage, fait aux amants un sourire sanglant de vampires affamés. Les acteurs excellent tous dans leurs registres, avec une mention spéciale à Romy Schneider, particulièrement glaçante.


Dans son domaine, un indispensable, et un film véritablement curieux, dont je connais pas l'équivalent.

JohannLeuwen
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le 13 sept. 2017

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Johann Leuwen

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