Ma seule raison d'écrire cette critique, c'est dans le but de réaliser cette blague puérile et juvénile, mais en même temps je suis puéril et juvénile. Le Trou, réalisé par Jacques Becker, c'est une histoire simple, celle de cinq détenus de la prison de la Santé, à Paris, qui mette en œuvre une évasion.


Ce qui caractérise le plus le film est son aspect réaliste, on est proche du documentaire dans la mise en scène, tout est fait pour une immersion totale dans le film. Cette immersion se fait de plusieurs manières, tout d'abord par le choix de Becker de ne pas inclure de musique au sein du film, ce qui nous laisse uniquement entendre les dialogues et les bruits alentours. Les bruits justement, voilà sans doute l'aspect le plus palpitant du film, car pour casser le béton des cellules ou des tunnels, il est nécessaire de faire un maximum de bruit, afin d'être efficace, mais aussi de façon paradoxale pour ne pas attirer l'attention des gardes. C'est ainsi que chacun des coups portés pour détruire le sol est à la fois un pas de plus vers la liberté, mais aussi une chance supplémentaire de se faire découvrir. Ce qui m'amène au deuxième élément d'immersion totale, de longs plans fixes sur les zones à creuser. En effet Becker n'hésite pas à poser sa caméra sur ces zones, nous offrant la jouissance de les voir s'effriter au fur et à mesure des coups portés, jouissance partagée avec nos compagnons de cellules.


Ce soucis du réalisme de Becker ira même jusqu'à intégrer au casting des acteurs non professionnels, l'exemple le plus frappant est la présence de Jean Keraudy, ancien détenu de la prison de la Santé, impliqué dans la tentative d'évasion sur laquelle est basée le film ainsi que le livre écrit par un de ses compagnons de cellules. Keraudy introduit d'ailleurs le film dans une scène totalement coupée du reste, nous indiquant qu'il s'agit d'une histoire vraie.


Le personnage de Gaspard, joué par Marc Michel, est une autre réussite, d'abord introduit comme un prisonnier modèle par rapport au directeur de la prison, grâce à sa politesse et ses manières, il va vite se révéler être de la même façon un co-détenu idéal pour ses compagnons de cellule, c'est ainsi grâce à son caractère que ces derniers pourront sans problème poursuivre leur plan d'évasion. Ce personnage d'apparence simple est en fait le centre du film, il est le lien qui permet au spectateur de définitivement s'immerger dans cet univers carcéral, car il s'agit au final du personnage auquel il est le plus facile de s'identifier, de par son innocence déjà, et puis en parlant de l'aspect documentaire recherché par Becker, Gaspard fait presque figure de journaliste en immersion, découvrant une culture différente, puis y prenant goût plus le temps avance.


De tous ces éléments résulte une tension de tous les instants, car malgré l'intelligence de nos cinq protagonistes pour tenter au mieux de prévoir toute interruption, ce qui passe par des trouvailles très astucieuses, comme le fameux miroir brosse à dent ou un sablier fabriqué de manière très artisanales, ou bien à une anticipation des contrôles des cellules. Cependant ces contrôles peuvent arriver à tout moment et faire tomber à plat tout le plan, c'est notamment le cas lorsque comme évoqué plus haut, les détenus frappent des coups assourdissants sur le sol de la cellule, si chaque coup nous approche de plus en plus au fameux trou, ils déclenchent aussi un stress de tout les instants, chaque coup pouvant alerter un gardien qui mettrait ainsi fin à l'entreprise de nos cinq hommes.


Et puis il y a cette fin, tout simplement incroyable :


Incroyable mais totalement compréhensible, Gaspard apprenant que sa femme va retirer sa plainte, il n'a plus rien à faire en prison, et il a ainsi le choix entre se taire et risquer d'être inculpé pour complicité à l'évasion, et balancer ses nouveaux amis et être tranquille, personnellement je prendrais la même décision que lui, faire le collabo pour sauver ma peau, et pourtant, je me suis senti trahi à ce moment là, c'est tout le génie de ce film, on a vu toutes les étapes du plan se dessiner petit à petit, et au moment décisif on voudrait forcément qu'il réussisse. Mais de cette fin je retiens surtout ce plan magnifique avec tous les gardes vus à travers le miroir mentionné plus haut.


Le Trou est une œuvre qui se doit d'être vue, j'étais réfractaire à découvrir le cinéma français avant de regarder ce chef d’œuvre, car j'avais en tête Kad Merad, Frank Dubosc et autres tumeurs de notre pauvre cinéma national, mais ce film fût heureusement un déclic.

KiraYagami
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le 26 mai 2015

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KiraYagami

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