Un an après le fantastique La Main du diable, Maurice Tourneur s'ancre en pleine terre de haute Provence, dans une carrière de pierre, Le Val d'Enfer, situé en contrebas du village des Baux de Provence,  duquel Dante se serait inspiré pour sa Divine Comédie. Ceci dit et malgré l'accent provençal de certains acteurs, le film a été tourné en bourgogne près de Chalon.

Le Val d'Enfer sur un scénario de Carlo Rim, est le dernier film de Gabriel Gabrio. Assez méconnu avec pourtant une quarantaine de films à son actif, des années 1920 à 1943, il tient ici le premier rôle où, déjà malade, il est presque méconnaissable. Son physique costaud et poupon, laisse place à une minceur au visage émacié, mais l'acteur reste imposant, avec une caractérisation proche de Regain ou de La bête errante pour la bonté faite homme.

Un genre huis clos en milieu ouvert pour un film qui fait date mais à la simplicité toujours revigorante. Avec une durée d'à peine 1h20, le cinéaste concentre son récit par des scènes brèves et concises où les seuls regards parlent d'eux-mêmes et permettent à l'histoire de se dérouler avec précision et avec une certaine force dramatique. Les fameux écrans noirs viennent terminer chaque scène et nous laisseront le temps de savourer ce qui s'y est dit par tous les acteurs confondant de naturel. Trois destins se croisent avec fluidité. Nöel Bienvenu l'exploitant de la carrière (Gabriel Gabrio), ses parents (Gabrielle Fontan, Edouard Delmont) chez qui il vit encore à 49 ans et heureux d'y rester et Marthe sa trop jeune future épouse (Ginette Leclerc), fille d'un ami décédé à qui il a promis de l'éloigner de la ville et de ses tentations.

Une grande nostalgie encore par les rapports francs et solidaires, de ces ouvriers qui n'hésiteront pas à pousser la chansonnette lors d'un accouchement pour faire plaisir au petit à venir et des fêtes de famille où tous sont conviés se réjouissant de vivre le moment présent. En ressort un portrait presque documentaire du quotidien d'une époque révolue où le parler ne s'encombrait pas de chemins de traverse. On aura le plaisir de retrouver Delmont au verbe d'une logique implacable et les dialogues participent amplement au plaisir du visionnage.

Les parents par ce qu'ils convoquent de tradition, de perspicacité et de bienveillance, tenteront avec toute la patience nécessaire d'éduquer leur fils sur les choses de l'amour et toute l'ouverture d'esprit qui lui manque : Une femme qui joue avec la solitude, c’est comme un enfant qui joue avec des allumettes. CarNoël, s'il est aimant, n'en reste pas moins un personnage rustre aux préoccupations du seul travail et Marthe si elle est reconnaissante, ne l'aime pas et s'ennuie dans un environnement aride et désolé, à la chaleur étouffante et au bruit discontinu. Cette femme fatale inaccessible pour l'un, victime elle-même d'une société patriarcale qui ne lui laisse que peu de choix, sera bien naïve face à un beau parleur de passage (Lucien Gallas). Et si les parents accueillent à bras ouvert cette nouvelle venue dans leur quotidien, leur totale confiance se conclura par la grande déception pour une bru de si peu d'amour, se laissant évincer pour tenter de croire encore au bonheur du fils. La destinée de ces vieilles personnes que l'on abandonne reste un moment poignant et on se surprend de l'émotion qui gagne.

Le Val d'Enfer marque en filigrane son époque. Le travail comme mode de vie, les traditions familiales par la place des femmes et les bienfaits de la famille et elle seule face à l'arrogance et au caractère de plus en plus odieux de Marthe, qui peut gêner aux entournures à appuyer la bonne moralité et le rejet de ceux qui ne s'y prêtent pas. De même pour le fils de Noël (André Reybaz), un voyou emprisonné que l'on ignore, permet, lui, par sa résolution de dresser un portrait plus nuancé.

Un drame familial assez sombre mais aux rebondissements surprenants, teinté de légèreté par des échanges à haute teneur féministe que Tourneur offre pratiquement à tous ses acteurs masculins, même si on rit bien volontiers de celui détourné de Charles Blavette :

[T'as entendu parler de la mante religieuse ? C'est un insecte qui dévore son mâle après l'amour !

[Et elle est religieuse encore ?.../...

[Alors, elle fait donc l'amour qu'une fois dans sa vie ?

[Oui si on veut, comme elle est veuve elle peut se remarier

[Et les autres mâles y connaissent pas cette habitude qu'à la femelle ?

[Si, seulement y se disent, elle a bouffer mes prédécesseurs, mais moi elle m'aura pas !

[C'est prétentieux un Mâle.../...

[Moi je me méfierais...Parfaitement. Je resterai célibataire

[En somme d'après toi, les hommes y devraient jamais se marier ?

[Si...Le malheur c'est qu'y épousent des femmes.

limma
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le 28 déc. 2022

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