Du pathos, toujours du pathos et encore du pathos

Le consensus général sur ce film est une véritable énigme, un incroyable mystère.
Enfin peut-être ne l'est-il pas vraiment puisqu'il semblerait suffisant de produire un film dans un contexte historique particulièrement difficile - celui de la Seconde Guerre mondiale - afin de recevoir multiples éloges de la part des spectateurs.
Il y a quelque chose d'embêtant avec ce film (et c'est le même principe pour d'autres comme La Ligne Verte mais dans une moindre mesure), je veux dire, sous prétexte qu'il aborde une thématique particulièrement douloureuse pour la mémoire collective, cela suffirait à en faire un film magnifique que l'on ne pourrait pas véritablement critiquer sauf à passer pour un "sans-cœur".
Je ne suis pas d'accord avec cette idée de céder constamment à l'émotion sans prendre en compte la façon dont le réalisateur souhaite la conduire. En l'occurrence pour ce film, c'est complètement raté, presque tout est raté.


Le Vieux Fusil est un film que je n'ai pas aimé, mais pire encore, c'est un film que j'ai trouvé très limite, voire même mauvais.
Dès les premières images, j'ai senti que ça allait être très compliqué après la lecture du synopsis. Une famille à vélo, heureuse comme tout avec le sourire aux lèvres avec la musique : le film peut commencer. On voit tout de suite surgir le problème fondamental de ce film : le pathos à outrance.
Le film est un tire-larmes forcé où l'on nous présente bien comme il faut la famille idéale, le mari idéal, la femme idéale, l'enfant idéal. Ils s'aiment tous, c'est merveilleux, aucune embrouille, aucun litige, aucun problème, tout est beau, tout est merveilleux, on se croirait dans un conte de fée ensoleillé.
Bien entendu, on comprend très vite l'intention du réalisateur, qui est de ne montrer que des relations incroyables pour choquer par la suite le spectateur à travers un drame survenu en temps de guerre. Sauf que c'est trop.
Les dialogues sont parfois ridicules, le choix des scènes que l'on nous montre est pathétique, et surtout, rien n'est crédible, rien n'est réaliste, tout sonne très vite faux et donc le spectateur décroche rapidement lorsqu'il saisit ce contraste hautement problématique.
Que l'on soit bien d'accord, lorsque je reproche au film son manque cruel de réalisme, je ne sous-entend pas que le cinéma a pour vocation d'être réaliste. Il y a certains films qui n'ont pas pour intention de poser un cadre réaliste et de fait, vont pouvoir se permettre une liberté à ce niveau là. Je peux prendre par exemple la trilogie Le Seigneur des Anneaux où bien entendu, les protagonistes parviennent à braver toutes les difficultés alors qu'ils auraient sûrement du mourir plus d'une fois. Oui mais ici nous sommes dans un univers fantastique, nous sommes dans un conte donc aucun problème. Pour ce qui est de Le Vieux Fusil, c'est tout le contraire, on ne cesse de nous renvoyer à une réalité historique afin de nous plonger dans un univers profondément réaliste, de fait, le traitement des personnages et de leurs différentes relations est un énorme problème.
Mais ce n'est pas le seul problème, car s'il y a déjà un manque cruel de réalisme à ce niveau là, c'est encore pire pour ce qui est de l'autre partie du film, qui se résume à une histoire de vengeance, où ce fameux médecin va pouvoir éliminer seul une dizaine d'allemands.
Le réalisateur n'oublie d'ailleurs pas de nous ajouter une petite scène en flashback, il espérait sincèrement accentuer le réalisme des situations futures à travers cette idée ? Un enfant qui a vu comment son père chassait explique le fait qu'il puisse balayer toute une troupe d'allemands ? C'est absurde.
De plus, il y a une malhonnêteté évidente de présenter les choses de cette manière. On prend les soldats allemands pour des imbéciles notoires qui se font avoir comme des demeurés par un médecin de campagne qui a du tuer trois cerfs à la chasse dans sa vie. Comment ne peut pas sortir du film avec de telles aberrations scénaristiques ? On est censé être devant un film à tonalité réaliste, triste, dur et on fait tout pour nous en sortir.


Il y a également un énorme problème en termes de maîtrise de la réalisation. On a l'impression que certaines scènes du film ont été composées par un amateur. J'en prends pour exemple la scène où le protagoniste arrive dans l'église et découvre l'horreur que les nazis viennent de commettre. Je trouve qu'il n'y a aucune profondeur, aucune créativité dans l'approche d'une telle scène qui aurait pu être mémorable si elle avait été réalisée par quelqu'un de beaucoup plus ambitieux, de beaucoup plus créatif. Là c'est juste mou, la tension et l'attente sont mal gérées, le mouvement de la caméra est très moyen, le choix des plans est critiquable, le montage général de la séquence est pas au niveau de la puissance émotionnelle qu'il souhaite nous faire vivre ici.
Mais le pire étant certainement la scène qui suit où le protagoniste imagine ce qui est arrivé à sa femme et son enfant : on voit donc la mère se faire violer puis brûler au lance-flamme et la fille se faire abattre de deux balles. La réalisation de cette scène est catastrophique, l'accéléré est moche, et le moment où sa femme va se faire brûler est complètement risible avec le regard des soldats allemands qui testent le lance-flamme en rigolant. Mais comment voulez-vous être touché par des scènes aussi mal tournées ? On dirait sérieusement un amateur. Aucune émotion possible, on sort juste du cadre du film.
Au passage, lorsque le protagoniste revient dans l'église après avoir découvert l'horreur qui est arrivé à sa famille, le réalisateur n'était pas obligé de nous ajouter sa petite pique personnelle envers la religion catholique (et pourtant je suis loin d'être un fervent défenseur du catholicisme, là n'est pas le problème), je veux dire par là, l'énervement du personnage qui va détruire les statues représentant Jésus-Christ, pour bien montrer qu'on ne peut plus avoir foi quand on a vu tout ça.
Sauf qu'il faut arrêter de déconner et se mettre trente secondes à la place de quelqu'un qui vient de vivre un tel évènement : vous pensez sincèrement qu'une personne ayant vu une horreur pareille 2 minutes avant ne se retrouve pas dévasté seul dans un coin ? Non lui préfère démonter des statues de Jésus, c'est vrai qu'on pense tous à ça quand la femme et notre fille qu'on aime viennent de subir des atrocités pareilles. Le réalisateur souhaitait juste faire sa pique personnelle, c'est pas subtil, c'est bas et même minable.


Et puis que dire de cette relation très peu crédible entre un homme qui tombe amoureux de cette femme par le passé presque d'un simple regard, et cette femme, qui se laissera directement séduire par ce monsieur alors qu'on voit parfaitement que les deux personnages ne viennent pas du tout du même monde, qu'ils ne partagent rien en commun. Je ne comprends pas du tout les choix du réalisateur. Les flashbacks sont censés nous apprendre des choses intéressantes sur leur relation mais ça ne fait qu'enfoncer le film tant rien ne se tient depuis le début.


Comme je l'ai dit précédemment dans ma critique, la représentation idéalisée de la famille pour rendre le drame encore plus douloureux est une très mauvaise idée. Il y a ce côté insupportable qui revient en permanence à travers les flashbacks où l'on voit le visage de sa femme où elle est toute heureuse en train de rigoler, de sourire, etc. et sa fille qui bien sûr gagne un prix dans son école et s'amuse du fait que ses parents viennent en retard à sa cérémonie, tout le monde rigole, on fait des blagues, tout est super, tout est génial tout le temps... C'est juste insupportable.


Toutefois, il y a peut-être trois points positifs que je peux mentionner pour ce film. Il y a deux scènes réussies. La première se situe au début du drame, c'est la scène où l'on trouve le médecin dans l'hôpital. La deuxième est un flashback où l'on voit enfin que le personnage interprété par Romy Schneider peut avoir un minimum de consistance tant elle est fade à chaque scène où on nous la présente (c'est la scène où on l'aperçoit craquer nerveusement en solitaire avant que son homme ne la rejoigne).
Ensuite, on peut bien dire que Noiret est excellent dans son jeu, pas grand chose à lui reprocher de ce côté là. Enfin, le film se laisse regarder, bien qu'il comporte un nombre incalculable de problèmes mentionnés ci-dessus.


Je sais d'ores et déjà que beaucoup ne seront pas d'accord avec cette critique qui peut sembler assez virulente, mais j'estime avoir un minimum mis l'accent sur différents problèmes identifiés dans ce film qui peuvent tout à fait s'entendre.
Je trouverai donc des désaccords avec les gens sur ce film mais il n'y a aucun problème, vous avez parfaitement le droit de l'apprécier, de l'aimer, de le trouver profondément touchant, bouleversant, captivant, émouvant, etc.
Ce que j'ai essayé de faire tout au long de cette critique, c'est montrer en quoi ce film ne m'a absolument pas convaincu par les différents choix entrepris par le réalisateur.


En dernier lieu, j'estime sincèrement que le film n'est pas terrible objectivement (le réalisation n'est vraiment pas exceptionnelle) et qu'il parvient davantage à séduire les gens en surfant sur ce qui se fait de plus facile, à savoir le thème de la Seconde Guerre mondiale avec les affreux nazies qui détruisent la famille formidable par excellence.
Selon moi, l'utilisation du pathos n'est pas suffisante pour en faire un bon film. Je n'apprécie pas que l'on emprisonne littéralement le spectateur, qu'on le noie sous un amas d'émotions permanentes et peu subtiles tout au long du film. On ne laisse aucune marge de liberté, aucune interprétation possible de certaines situations complexes. C'est désolant. Extrêmement déçu de ce film.

Tystnaden
3
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes flops et déceptions du cinéma

Créée

le 14 oct. 2020

Critique lue 1.4K fois

18 j'aime

11 commentaires

Tystnaden

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

18
11

D'autres avis sur Le Vieux Fusil

Le Vieux Fusil
Ugly
9

Noiret et sa pétoire

Le Vieux fusil fut un énorme succès en 1975 et fut si mes souvenirs sont bons le premier césarisé, puisque la cérémonie des Césars venait de naître la même année, je revois encore Jean Gabin...

Par

le 10 mai 2019

49 j'aime

31

Le Vieux Fusil
Grard-Rocher
8

Critique de Le Vieux Fusil par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est du terrible massacre survenu à Oradour-sur-Glane, l'après-midi du 10 juin 1944, dont s'est inspiré Robert Enrico pour réaliser ce film émouvant et terrifiant. Il faut rappeler que ce crime...

49 j'aime

16

Le Vieux Fusil
SanFelice
8

Romy Schneider, la lumière et la grâce

Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, avec des films d’aventures à la française (Les Grandes Gueules, Les Aventuriers, Boulevard du Rhum), des polars (Pile ou face) et même un grand film...

le 28 nov. 2020

30 j'aime

3

Du même critique

Le Vieux Fusil
Tystnaden
3

Du pathos, toujours du pathos et encore du pathos

Le consensus général sur ce film est une véritable énigme, un incroyable mystère. Enfin peut-être ne l'est-il pas vraiment puisqu'il semblerait suffisant de produire un film dans un contexte...

le 14 oct. 2020

18 j'aime

11

2001 : L'Odyssée de l'espace
Tystnaden
10

Valse poétique et philosophique : une odyssée de l'humanité

Il est toujours compliqué d'établir une critique sur les films de Kubrick, mais l'épreuve redouble certainement de difficultés quand il s'agit de 2001, L'odyssée de l'espace, qui marque un tournant...

le 6 avr. 2020

16 j'aime

9

Le Désert rouge
Tystnaden
10

Poésie ardente

Le Désert rouge est un léger tournant dans la carrière brillante du cinéaste Michelangelo Antonioni. Si cette petite révolution s'effectue par l'apparition d'une nouveauté tout de même notable : la...

le 23 janv. 2021

15 j'aime

3