Scénographie minimaliste, très surprenante par rapport aux productions habituelles du Français à cette époque : seulement trois grands panneaux de bois, séparées les uns des autres (celui du milieu est une porte qui sert pour les entrées et sorties des comédiens), et qui encerclent un espace carré en parquet, situé au centre du plateau ; six sièges disposés de part et d’autre de cette surface dans une parfaite symétrie au début (trois d’un côté, trois de l’autre). Aucun autre élément de décor. La scénographie est épurée, épousant de ce fait le format court de cette comédie de Marivaux et la simplicité de son propos.


Pièce sur la mise en abyme, le théâtre dans le théâtre → procédé répandu dans le théâtre de Marivaux (Le Jeu de l’amour et du hasard : deux jeunes gens de bonnes familles, promis en mariage, décident sans se concerter d’échanger leur rôle avec ceux de leur valet et suivante respectifs, dans le but d’observer allégrement leur futur conjoint ; Les Fausses confidences : un jeune homme désargenté est amoureux d’une femme vertueuse, et est aidé par son ancien valet, maintenant au service de cette dame, qui met en place un stratagème redoutable, à grands renforts de mensonges, pour faire épouser ces deux personnes). Par-dessous le jeu du comédien pendant l’acte de représentation, se trouve un autre niveau de jeu, celui du personnage qui finalement utilise les mêmes procédés que l’acteur, c’est-à-dire le mensonge et le costume. Séparation floue entre réalité et fiction, confusion autant pour les personnages au sein de la fiction que pour les spectateurs → inspiré par la commedia dell’arte (Marivaux a travaillé avec une troupe d’acteurs italiens pour ces précédentes pièces.).


Procédé de théâtre dans le théâtre qui explique le minimalisme de cette scénographie : on veut charger le moins possible le plateau pour mieux révéler les artifices propres à la représentation théâtrale. Cela peut justifier également l’utilisation de costumes qui évoque l’époque de Marivaux, le XVIIIe siècle : il s’agit de montrer que nous sommes au théâtre, d’où ces costumes, le jeu des acteurs qui paraît quelque fois désincarné et étrange, le parti-pris dans les éclairages : d’abord des faces chaudes très simples, sans fioriture, et qui au fur et à mesure se resserrent autour du parquet au centre et assombrissent le plateau ; le changement de luminosité du cyclorama, entre le début et la fin de la pièce, est non seulement un marqueur de temporalité (la traversée d’une journée entière), mais indique aussi les deux facettes de la présente comédie : la gaieté d’un côté (le plaisir des personnages à jouer des rôles éloignés d’eux), le malaise de l’autre.


En effet, la mise en abyme prend souvent une tournure sombre, perverse dans le théâtre de Marivaux, grâce à l’ironie dramatique (le spectateur détient une information que l’un des personnages du drame ignore, ce qui confère au premier un sentiment de supériorité ; technique d’écriture utilisé autant en comédie qu’en tragédie.) → le public est complice des manigances de Madame Hamelin, lorsqu’elle feint d’annuler le mariage de son neveu Éraste avec Angélique, et profite allégrement des réactions outrées de Madame Argante et de son entourage. Cruauté et sentiment de supériorité de certains personnages appuyés par le jeu sérieux, presque froid et austère, de certains acteurs ; seul Merlin, dans son plaisir personnel de se jouer des sentiments amoureux des domestiques avec qui il travaille sa pièce, se permet de larges sourires et quelques rires sardoniques et condescendants, amenant une bride de légèreté à l’ensemble de la distribution (encore que le rire qu’il nous inspire, est un rire jaune).


L’espace dramatique, au centre de la scène, sert à la fois de lieu de répétition et de représentation pour la comédie de Merlin, et d’arène de combat entre les différents personnages. Ce carré, orienté de telle manière à ce qu’il ressemble à un losange vu de la salle, crée une sensation d’inconfort. Il peut donner le sentiment aux spectateurs d’observer ces scènes caché sur le côté, d’avoir un point de vue transversal sur le drame → la perversion, qui émane de cette situation, est appuyée.
La comédie chez Marivaux est cruelle, surtout pour les domestiques, constamment victimes des maîtres qui jouent au détriment de leurs sentiments sincères (même le valet Merlin se prend au « Jeu » et y laisse des plumes, à la fin de la pièce). Une atmosphère voyeuriste et cruelle, où l’amusement de certains personnages est souvent forcé, factice.

MrSauvage
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le 8 févr. 2021

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