Les Amants du Pont-Neuf par Gérard Rocher La Fête de l'Art

À Paris, le Pont-Neuf en travaux de réfection est un bien maigre refuge pour Alex et Hans, tous deux potes de galère. Ils ne peuvent trouver le sommeil que grâce à des "remèdes salvateurs" fournis par Hans, le "chef des lieux", bougon au possible et parfois intolérant. Son humeur va devenir d'autant plus maussade que Alex revient un jour avec Michèle, une jeune femme infortunée à la rue depuis peu. Perdant la vue, se retrouvant seule et dans la perspective de ne plus pouvoir continuer son métier de peintre et dessinatrice, elle va se retrouver ce soir du 14 juillet 1989 sur ce pont, réconfortée par la présence d'Alex, devant le grandiose feu d'artifice du "Centenaire de la Révolution Française". Les impressionnants bouquets multicolores, la gaité des bals publics et la cagnotte accumulée grâce aux larcins de Michèle suffiront-ils à ce couple improbable pour sortir de leur parcours du combattant ?


C'est dans le milieu du calvaire quotidien des "SDF" que nous nous trouvons aspirés par Alex, acrobate et cracheur de feu bien démuni de ses qualités, marchant en s'endormant au milieu d'une route. Une voiture le heurte et pour comble de malchance, il se retrouve salement blessé au pied. Les "bleus" le ramassent pour le soigner. Nous voici dans la pénible ambiance de Nanterre, l'un des temples de la misère humaine, avec ses cris et ses plaintes de gens sans espoir, usés par l'alcool, le froid et la solitude, attendant sans trop le savoir que leur pauvre vie s'éclipse et que la grande faucheuse vienne les chercher sur un bout de trottoir. Comme ses autres "compagnons", Alex revient très vite dans la rue avec pour compagne une béquille. La survie va se poursuivre sur le "Pont Neuf" en compagnie de Hans, son vieux complice.
Pourtant Alex va faire la connaissance de Michèle, dormant sur ce pont en cours de travaux et fermé à la circulation. Elle aussi traverse de difficiles épreuves, lâchée par son compagnon et perdant progressivement la vue.Son travail artistique n'est plus qu'un souvenir, la rue lui tend les bras. Pourtant, même au plus profond de la détresse et de la misère, une petite flamme peut tout à coup tenter d'atténuer la noirceur du temps. Cette petite flamme peut être source d'aventure, de combat contre la résignation et le désespoir. Cette petite flamme peut même faire rejaillir des sentiments et des traits de caractère que l'on croyait perdus à tout jamais. La misère serait-elle un obstacle contre le désir de l'autre primant alors sur le sentiment de révolte contre une société injuste et cruelle ? Il n'est certes pas facile de se reconstruire lorsque l'on est fragilisé par le destin, mais celui-ci est plein d'improbabilités bonnes pour certains, plus dures pour d'autres, néanmoins dans un sens ou dans un autre, lorsque l'on a atteint le fond, toutes les délivrances sont les bienvenues...


C'est dans un parcours bien étrange, absolument splendide et émouvant que Leos Carax nous entraîne. D'entrée le réalisateur nous met face au désespoir avec pour image un homme portant avec lui toutes les cicatrices provoquées par une existence sans issue. Nous sommes d'un coup dans cette œuvre où le réalisme des personnages côtoie avec beaucoup de bonheur le surréalisme de certaines scènes. Celles-ci sont dune grande originalité et soulignent avec une extrême finesse le climat de cette histoire passant allègrement du cauchemar au rêve et de l'espoir au désespoir. La mise en scène est éblouissante, les fusées multicolores se mêlant à la musique des bals publics, la détresse se mêlant elle aussi à la joie ambiante des joyeux fêtards. Le sujet est très fouillé, empli de situations inattendues mais tellement fortes qu'elles nous émeuvent. C'est donc un film inoubliable, un film qui provoque un choc, bref un film que l'on a envie de revoir et de posséder.
Bien entendu, les acteurs sont éblouissants dans des rôles ingrats. On se souviendra longtemps d'Alex, Denis Lavant, personnage ravagé mais prêt à donner tant de tendresse si le courant de la vie lui en donne les moyens. Il en crache des flammes, il en exécute des acrobaties prouvant ainsi que la vraie vie peut revenir en lui à tout moment pourvu qu'un idéal qui doit se mériter se profile grâce à Michèle. Celle-ci est interprétée par Juliette Binoche, absolument remarquable et attachante. Elle aussi a tout perdu, même le droit de voir, de peindre et de dessiner. Elle n'est plus rien et pourtant elle est attendrissante dans son désespoir et ce pansement sur l'œil qui lui rappelle sans cesse l'acharnement d'un destin trop injuste. Et puis, il y a Hans le "patriarche", Klaus Michael Gruber, qui lui aussi voit la Seine couler de près. Il y a longtemps qu'il a fini d'être sensible à la fête. Les pétarades, les fusées multicolores, la musique ont fini de susciter en lui le moindre intérêt. Il est énigmatique par son comportement vis à vis des femmes et bouleversant lors de sa "confession" auprès de Michèle.


Ainsi la Seine s'écoule majestueusement sous ce pont, les péniches passent lentement dans un décor magique pour beaucoup, tragique pour d'autres et nous, nous restons émus et même ébahis par tant de talent de la part de Léos Carax et tant de persuasion de la part des acteurs.

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le 5 déc. 2016

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