Ultra-Nocturnes Solitudes

Fallen Angels!
Qui sont ces anges blessés, tombés d'un ciel toujours invisible?
Quel est ce Dieu qui les a déchus et abandonnés là, seuls?
Des petits bouts de nuit, des créatures qui semblent arrivées de nulle part et pour qui toutes les directions se valent, mais qui pourtant respectent scrupuleusement le rôle qui leur a été attribué!
Ce sont des bouts de nuit dans une ville. C'est tout!
Leur Dieu, c'est cette ville bien sûr, la nuit!
Ils se nourrissent de ça. Ils se nourrissent de nuit.
Alors quand vient le générique de fin et qu'elle est sur le point de se terminer, la nuit, ils se rapprochent, et ils essaient de se tenir chaud pour retarder, comme ils le peuvent, la venue du jour :

...Dans un couloir carrelé de jaune, qui devrait être un restaurant
Lui :

• Ce soir il fait froid. Je ne croyais pas que l'hiver arriverait si tôt.

Elle (rêveuse) :

• Je n'ai pas l'habitude de ce genre de temps. L'hiver dure trop longtemps. Je mange bien. Mais j'ai froid.
  Je m'habitue à travailler seule.
  Parfois j'ai des partenaires mais rien de très stable. Je fais attention.
  Je ne vais pas dans les hôtels. Je ne fouille plus les poubelles.
  Je crois qu'il vaut mieux ne pas mélanger le cœur et les affaires.

Au second plan, une bagarre éclate dans le restaurant carrelé de jaune. Au premier plan elle sourit. Au second plan il se relève péniblement et il allume une cigarette.

Lui (le visage ensanglanté):

• On rencontre plein de gens chaque jour. Certains deviennent des amis, des proches c'est pourquoi je ne renonce pas à ces rencontres.
  Parfois j'insiste trop. C'est pas grave je suis content. Cette nuit j 'ai revu cette fille...

Au premier plan, elle l'écoute maintenant

... On ne sera jamais amis ni proches. On a eu trop d'occasions. On s'est croisés souvent et rien ne s'est passé. C'est peut-être à cause du froid, mais cette nuit je la trouve mignonne.

Maintenant la route déroule son ruban dans les phares d'une moto. Elle est assise derrière lui, la tête appuyée contre son dos. Pour se tenir elle a passé ses bras autour de sa poitrine :

• En partant je lui ai demandé de m'accompagner. Je n'ai pas fait de moto depuis longtemps. Je n'ai pas enlacé un homme depuis longtemps.
  La route n'est pas très longue. Je vais descendre bientôt.
  Mais là, maintenant, je me sens bien.

Ces quelques échanges nous renseignent sur l'histoire de ces anges là, de certains d'entre eux, dans un temps dans lequel les humains sont absents. Abolis. Le temps du sommeil et de l'oubli.

Pourtant dans notre sommeil sage nous autres, les humains, nous gardons toujours malgré nous un canal bien ouvert : celui du rêve évidemment!
Dès lors des échos nous parviennent en cascade, différents bien sûr, multiples, déformés par le prisme de notre propre vécu. Dans ma hotte à moi, d'autres promenades noctambules remontent déjà...
...des bruits familiers, ceux du petit matin. Familiers et encore incohérents cependant. Des odeurs de croissants chauds, volées aux soupiraux des boulangeries. Il fait encore nuit. Encore un peu. Et le camion des poubelles circule déjà dans la grisaille qui se lève. J'ai les paupières lourdes. Finalement la nuit cesse peu à peu. Je voudrais la prolonger. Encore un peu la nuit! Avant de se dissoudre. Avant de laisser la place aux vivants et aux klaxons.
Il fait jour maintenant. Un jour blafard qui éclaire les rues...

Je retourne vers mon rêve de cinéma. Mais la bande son du générique instille déjà en moi sa musique nostalgique, et les anges ont disparu!