Wong Kar-Wai était un réalisateur talentueux, il est désormais un cinéaste génial. S’il a tout d’abord démontré être capable de faire de bons, voir de très bons films, on sait qu’il est tout aussi capable d’aborder différents thèmes, différentes mises en scènes avec ce talent qui caractérise les plus grands. Il est hasardeux d’affirmer que Fallen Angels n’est pas son meilleur film, disons plutôt que ses thèmes sont probablement moins universels que ceux décrits dans In The Mood For Love, la cible de spectateurs est moins large.

Wong Kar-Wai prend ici le parti de suivre, la nuit exclusivement, une galerie de personnages composée de marginaux, d’êtres à part, certains par leur profession, d’autres par leur tempérament. Sa caméra nous ballade donc entre un tueur et son agente, un fou furieux muet qui prend plaisir à rentrer dans les magasins la nuit pour y travailler. Cette caméra, d’habitude posée et contemplative chez le réalisateur semble ici prise d’hystérie et de spasmes. Les zooms, les travellings sont parfois brutaux et donnent une étrange impression d’instabilité et de précarité. Lors des quelques scènes de fusillades, ce choix s’avère excellent et donne une énergie incroyable aux chaises qui volent et aux corps qui tombent.

Le film est sombre et même glauque parfois, Wong Kar-Wai semble toujours prendre plaisir à l’utilisation de filtres, peut-être n’est-ce qu’une mode mais bon nombres de cinéastes y ont pris goûts ces dernières années. L’image cependant rend magnifiquement ce sentiment d’une galerie d’êtres en recherche d’une porte de sortie, armés d’une volonté de tourner, chacun à leur tour, la page d’une vie qui ne leur convient plus. Un tueur qui souhaite arrêter et cause l’immense désespoir de son agente qui semble l’aimer par procuration, un muet qui se fatigue de ses métiers artificiels et en recherche un vrai le jour où un drame le fait devenir enfin adulte.

Même si cette histoire accroche beaucoup moins le spectateur, il reste le géni de Wong Kar-Wai pour la mise en scène et la mise en image. Il a un talent qui fait que, même si notre intellect s’ennui ferme devant une histoire n’ayant que peu d’intérêt, notre âme et notre sensibilité de cinéphile restent toujours autant fascinése par ses image d’une grande beauté et parsemée de fulgurances, de moments de sortis tout droit du divin. S’il ne fallait en retenir qu’un, ce serait celui où une nuit, installée dans un bar lounge, Michele Reis laisse glisser voluptueusement une pièce dans le juke-box, lançant une chanson sur laquelle elle va se mettre à se caresser furtivement, à onduler lentement, tendrement pendant trois minutes au rythme d’une musique lancinante. Cette scène absolument torride restera comme un des grands moments de sa filmographie, Wong Kar-Wai la filme en gros plan, partie du corps après partie du corps, filmant cette robe noire satinée comme la seconde peau de Michele Reis qu’elle finira, sur son lit, par caresser à l’endroit le plus intime. Il faut l’admettre, il sait filmer les femmes aussi bien que Milo Manara sait les dessiner, quelle que soit leur apparence il sait fait ressortir la part de sensualité qui existe en chacune et la rend époustouflante.

Il y a donc du géni chez Wong Kar-Wai car, même si on ne retrouve pas l’incroyable expérience qu’était In The Mood For Love, il reste de quoi captiver les plus exigeants fans du réalisateur. Il reste ce pouvoir qu’il a d’atteindre, même dans ses films mineurs, des instants de grâce pure qui nous rendent amnésiques des faiblesses de l’œuvre. Il y a un côté rassurant chez lui, cette confiance qu’on lui accorde après quelques films et qui nous pousse à en vouloir toujours plus, plus de talent, de musique, d’images et nous rend dépendants. En fait Wong Kar-Wai n’est pas un homme, Wong Kar-Wai est une drogue et le cinéma son dealer.
Jambalaya
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le 13 avr. 2013

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