Alors oui, « Au cœur de l’épopée russe » a été monté dans l’urgence. Bien sûr, ce documentaire permet de prolonger le plaisir auquel on a goûté (du moins après les poules…). Il n’en demeure pas moins que ce reportage laissera sans nul doute la plupart d’entre-nous sur notre faim… mais les réalisateurs ont probablement des circonstances atténuantes…


À leur décharge, j’ai connu la victoire de 1998… Et si je ne suis pas partisan du « c’était mieux avant », force est de reconnaître – sans vouloir jouer les blasés - que « la première fois, c’est toujours quand même plus marquant »… En effet, une victoire en finale contre le Brésil, le match le plus abouti de l’équipe de France de l’époque me fera toujours plus vibrer que ce titre acquis contre la Croatie dans le match de moins maitrisé par la bande à Deschamps. C’est probablement injuste mais c’est ainsi… Peut-être que les quadras - comme moi - qui liront ces lignes me comprendront.


À leur décharge également, il y a eu « Les yeux dans les bleus », et le premier sentiment qui vient au moment du générique de fin de « l’épopée russse » est que le documentaire de Stéphane Meunier reste inégalé… Grâce à lui, nous avions à l’époque le sentiment d’être aux côtés des joueurs et de partager leur doute (Zidane, agacé disant qu’on attend peut-être trop de lui et qu’il fera ce qu’il peut), leur mal-être parfois (Dugarry face à l’hostilité des français), leur fragilité (Aimé Jacquet fondant en larmes et déclarant la guerre au journal « l’Équipe » après la victoire contre la Croatie), leur combat contre la peur (le coup de gueule d’Aimé Jacquet à la mi-temps de la demi-finale, probablement le plus grand moment de ce reportage) mais aussi leur joie : au moment du coup de sifflet final le 12 juillet, où, grâce au caméraman, on court partout sur le terrain, on est presque en train de serrer les joueurs dans nos bras, et l'on écoute les premiers mots partagés entre les nouveaux champions du monde… on est par exemple ému d’entendre Emmanuel Petit dire « merci Mémé » à Aimé Jacquet en l’étreignant de toute ses forces… (dit ainsi, cela peut paraître idiot mais il faut voir les images…)
… la barre était donc très haute… et l’attente de ce reportage très importante car cette fois, la coupe du monde se déroulait loin de chez nous et les discours des joueurs étaient bien trop formatés pour que l’on puisse au fil des jours se laisser emporter par l’émotion et l’espoir fou d’une victoire finale comme en 1998.


On espérait donc que ce nouveau documentaire allait nous faire découvrir l’envers du décor d’une équipe de tueurs au sang froid sur le terrain et trop langue de bois face au micro…


Tout au long de ces deux heures de reportage (régulièrement entrecoupées d’interminables pages publicitaires), il faut admettre que nos espoirs seront vains et les frustrations nombreuses… On ne retrouve pas le côté immersif que l’on avait pu ressentir dans les yeux dans les bleus… à l’entrainement par exemple, en 98, la veille ou le jour de la finale, on est aux côtés de Leboeuf, Dessailly et (je crois) Lizarazu, qui essaient de trouver, en vain, une stratégie pour bloquer Ronaldo… en 2018, on est au bord de la touche et on regarde des joueurs courir ou taper dans le ballon… En 98, que ce soit dans leur chambre, en salle de massage, dans les vestiaires… la caméra traine et capte parfois des confidences… en 2018, on a l’impression que les joueurs répondent à des interviews… pas de failles, pas de doutes, chaque intervention montre une impitoyable marche en avant sans véritable état-d‘âme…


On peut aussi déplorer que peu de joueurs interviennent véritablement dans le reportage ce qui attenue « l’effet groupe » tant mis en avant pourtant tout au long de la compétition… De même, à part Deschamps (et fugacement, Guy Stephan) l’équipe « technique » du sélectionneur est totalement passée sous silence…
Certaines scènes ont également peu d’intérêt : la remise des maillots, lors des repas, entre la poire et le fromage, à Hugo Lloris puis à Didier Deschamps sans que l’on en ressente véritablement la portée symbolique…
Et puis, mais c’est probablement un signe des temps, alors qu’en 98 on avait le sentiment que pour la première fois, on nous ouvrait les portes d’un monde inconnu, en 2018, on a plutôt la sensation d’avoir déjà vu de nombreuses séquences, diffusées sur les réseaux sociaux par les joueurs eux-mêmes…
Finalement, tout au long de ce reportage, on a l’impression de voir le « making of » d’une victoire annoncée… d’autant que les réalisateurs ont été vigilants à « atténuer » (le France – Danemark est juste évoqué) voire effacer (le but casquette de Lloris) les épisodes qui auraient pu entacher la linéarité de cette marche en avant qui nous est finalement montrée sans véritables reliefs ni aspérités, sans grande émotion donc.
L’après-match, le titre en poche, aurait peut-être pu permettre de voir enfin des joueurs se relâcher et se livrer davantage… Malheureusement, le reportage s’achève, probablement par manque de temps, en queue de poisson par, certes, une jolie tirade de Didier Deschamps, mais on en espérait davantage…


Il serait néanmoins faux de croire que « L’épopée russe » est un échec ; le reportage comporte son lot de séquences amusantes qui permettent de fissurer quelques carapaces :


Umtiti ventant les mérites de son parfum, les interviews « bouteille d’eau », la difficile arrivée des « novices » (Pavard qui se trompe de chaussures, ou Nzonzi qui ne trouve pas sa chambre)… Rami, touchant, lorsqu’il évoque les tournois de quartiers de sa jeunesse… La colère froide de Deschamps lors du debriefing du premier match de poule…


Mais cela ne suffit pas pour avoir le sentiment d’avoir partagé une aventure humaine… d’autant que l’on devine, par quelques fuites ou sous-entendus de l’entraineur que ces deux mois passés ensemble n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille… mais on n'en saura pas plus...


Malgré la joie du moment, on a le sentiment que le traumatisme de la coupe du monde de 2010 et la tragédie de knysna, sont toujours dans les esprits et que l’image de l’équipe de France doit dorénavant, quoi qu'il arrive, être lisse et sa communication verrouillée. On imaginerait presque chaque joueur sélectionné, arrivant à Clairefontaine, devoir signer des engagements de confidentialité et de recevoir une formation pour bien caler les éléments de langages…


En cela, ce reportage pourrait bien être finalement le vrai reflet de cette équipe de France qui nous offre la victoire (c’est l’essentiel !) mais qui ne nous donnera probablement pas grand-chose d’autre.

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le 18 juil. 2018

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