Avec ce film adapté du roman éponyme de Paul Guimard (1967), Claude Sautet livre une ode aux moments simples de la vie, à ce qu’ils ont de beau et parfois tragique. Ces moments, ils se présentent successivement à l’esprit du personnage principal, Pierre, interprété par Michel Piccoli, tandis qu’il sombre dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Souvenirs de famille et de ses relations amoureuses apparaissent par fulgurance ou explorés plus en profondeur, entrecoupant le déroulé de l’accident.
La construction est très adroite et équilibrée. Le point de départ des réminiscences est le même que l’évènement ouvrant le film : le moment juste après le choc. Alors que les badauds se rassemblent autour du véhicule et de son conducteur blessé, le spectateur est lui aussi interpellé par la scène – comme les enfants curieux réunis autour d’un pneu qui a roulé à quelques mètres de l’épave. Personne ne connaît rien de cet homme. Mais à l’inverse du public voyeur, nous allons avoir accès à sa vie, ou du moins à des bribes. Alors que le trajet en voiture de Pierre est rejoué à l’envers, c’est dans son passé – plus ou moins lointain – qu’il remonte et effectue un parcours mémoriel.
En somme, ce sont souvent des objets, voire des impressions, qui déclenchent les souvenirs de Pierre. Comme la vision du pneu par les enfants entraîne la narration de ce qui précède l’accident et l’accident lui-même. Le traitement de celui-ci est vraiment intéressant : fragmenté et majoritairement au ralenti, il est à la croisée entre beauté et brutalité, et a quelque chose de singulier, comme étrangéisé. Quelques autres souvenirs prennent la même forme et correspondent à ceux qui affluent tandis que Pierre passe de la conscience au coma. Ce glissement dans ce non-temps, entre vie et mort, s’accomplit aussi par l’insertion de répliques en voix off de Pierre, commentant sa perte de connaissance et tout ce qui s’en suit (elles sont parfois presque comiques). Quoi de mieux qu’une voix sans corps pour signifier le basculement de l’être vers le néant ?
Avec élégance, Sautet nous invite à reconstituer quelques instants de la vie de cet homme, sans en chercher la globalité. Elle n’est pas ce qui compte. Elle n’est d’ailleurs pas envisageable ; comme les morceaux éparpillés de la voiture détruite seraient impossibles à réassembler, la recomposition d’une existence ne peut advenir depuis ses restes. Après tout, c’est ce qui se passe lorsqu’on disparaît : il ne subsiste de nous que des images détenues par les autres, diverses et éparses, mais pas une entièreté. Les espaces laissés entre les souvenirs de Pierre sont alors autant de contrées qu’il nous est possible de conquérir si on le souhaite, par nos imaginaires. Comme lorsque les badauds découvrent son corps entre les herbes, il est possible de tout inventer de lui avant de le trouver et le rencontrer.
Bref, ce film est très joli, plein de douceur. Mention spéciale à la charmante Romy Schneider, bouleversante dans la séquence de la voiture.