Pour qui n'est pas allergique aux questions religieuses et métaphysiques, "Lumière d'hiver" (titre français "Les Communiants") est passionnant. Bergman règle ses comptes avec son père, pasteur luthérien comme Tomas Ericsson, le personnage principal. La caméra traque sur son visage la souffrance, les doutes religieux et les angoisses existentielles. Quelle impitoyable inquisition d'une âme happée par le gouffre... Le fils reprochait au père sa violence autoritaire... et l'imite à sa façon. Mais le cinéaste élargit considérablement l'anecdote autobiographique pour ausculter l'âme des hommes et leurs raisons de vivre.


Le film débute dans une église pendant la messe, se poursuit dans une salle de classe vide, une maison frappée par le deuil, une autre église déserte. L'enfermement et la solitude des personnages est poignante, dehors des paysages enneigés d'une âpre mélancolie les environnent... Le pasteur Tomas Ericsson (Gunnar Björnstrand) exerce ses fonctions de manière mécanique devant des fidèles qui désertent peu à peu. La grippe et la toux l'affaiblissent. Seule l'institutrice Märta Lundberg (Ingrid Thulin) le soutient.


Karin Persson (Gunnel Lindblom) lui demande d'apaiser l'angoisse de son mari Jonas (Max von Sydow), enfermé dans un mutisme têtu depuis qu'il croit la fin du monde imminente. Le prêtre ne comprend pas Jonas malgré sa tentation suicidaire. Égoïstement Ericsson monologue sur ses propres problèmes (vacillement de sa foi depuis la mort de sa femme) : "Il n'y a pas de Créateur, de Sauveur, pas de pensée, rien". Et le pauvre Jonas s'en va vers un destin tragique.


Quelle est cette lumière d'hiver annoncée dans le titre original ? Quand Ericsson gémit : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" son visage est baigné de lumière, déversée par la fenêtre, mais toute transcendance lui échappe. Märta se désespère d'avoir perdu l'amour de Tomas. Bien qu'athée convaincue, elle prie Dieu de donner un sens à sa vie : "Cet automne la lumière m'a été donnée. Je sais maintenant que je vous aime". Tomas le veuf est tiraillé entre le souvenir de sa femme aimée et l'amour de Märta. La culpabilité le ronge, le silence de Dieu l'angoisse. Qu'est-ce qu'un prêtre qui a perdu la foi ? Seul l'organiste se réjouit du naufrage paroissial organisé par Ericsson.


D'une grande richesse thématique et poétique, le film entremêle trois pistes narratives. Les vicissitudes d'une âme confrontée à l'amour, à la mort et à l'éloignement de Dieu, et qui en trois heures cruciales perd la foi. Parallèlement la solitude morale de ses paroissiens s'exacerbe. Les misères et les malentendus du couple (Tomas/Märta) confronté à l'amour et à la haine complètent l'analyse aiguë et cruelle de nos raisons de vivre. Les gros plans des visages montrent l'ennui à la messe, l'inquiétude de Karin, le désespoir de Jonas, la sincérité pathétique de Märta, le dégoût qu'elle suscite chez Tomas...


Plongées, contreplongées, travellings... Dans l'église les plongées de la caméra écrasent les communiants agenouillés ou le Crucifix sanguinolant. Les références aux Évangiles abondent dans le choix des prénoms (Thomas, Marthe, Jonas...), les passages de la liturgie ou les paroles du Christ. Le pasteur Ericsson ne comprend pas la Passion du Christ, est horrifié par l'eczéma de Märta (l'eczéma - symptome de souffrance morale - défigurera dans "Fanny & Alexandre" une tante de l'évêque persécuteur) . Pour le sacristain Algot, les souffrances de Jésus furent davantage morales que physiques : le pire est l'incompréhension de ses disciples et - après trois heures d'agonie sur la croix - le silence de Dieu.

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le 11 janv. 2019

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