Commençons par dissiper un malentendu : Les Enfants rouges n'est pas un film, c'est une voix off accompagnée par des images. Au point qu'on est en droit de s'interroger sur la pertinence du médium : n'aurait-il pas mieux valu écrire un livre ? Fatigant et prétentieux, le narrateur égrène les platitudes pseudo-philosophiques sans rapport les unes avec les autres, et se complaît dans une rhétorique facile et m'as-tu-vu. Malheureusement, on ne mesure pas la profondeur d'une pensée au nombre de chiasmes, ni l'intérêt d'une histoire au fait qu'elle soit racontée au conditionnel - l'exercice de style grammatical est dépourvu du moindre intérêt.
Le film n'est pas bien filmé ; du choix du noir et blanc, il n'est tiré à peu près aucun parti, hormis dans une belle séquence où l'ombre de la main de Jonathan caresse un corps de femme nu - mais on me souffle dans l'oreillette que Bunuel y avait déjà pensé. N'était-il vraiment pas possible de mettre un peu plus à l'honneur les décors parisiens, le métro, les rues, les places, les cafés ? Partout ailleurs, on en est réduit à de pénibles nuances de gris sale, parfois confuses. Cela dit, la prise de son non plus n'est pas toujours bonne non plus : il y a au moins une certaine constance dans le ratage.
Que dire des acteur-trice-s ? Garance Mazurek surpasse ses deux partenaires, dont le jeu déficient contraint le réalisateur à adopter des subterfuges qui auraient gagné à être moins visibles. David Kajman beurre une tartine, lit des livres à voix haute, s'adresse face caméra au spectateur, et multiplie les scènes relativement faciles à jouer ; la seule où l'acteur aurait été susceptible de se mettre en danger (une dispute avec Garance) est, comme par hasard, filmée de loin, à quinze bons mètres de distance... Inversement, le réalisateur demande à ses acteur-trice-s des performances qui sont parfois bien au-dessus de leurs moyens (et ce n'est vraiment pas leur faute) : comment exiger que Garance Mazurek, dans l'interminable plan-séquence larmoyant du début, parvienne à captiver le spectateur par la seule force de son regard troublé et de son visage ému, à peine aidée par quelques lignes de texte ? Cette scène quasi-muette est un calvaire pour nous, et a dû être une torture pour elle ; la malheureuse en est réduite à mimer l'affliction en laissant errer dans le vague des yeux maladroitement écarquillés ; il fallait être Catherine Deneuve pour réussir une telle performance avec honneur. Mon but n'est pas de dézinguer de jeunes acteur-trice-s amateur-e-s qui font ce qu'ils/elles peuvent, et ils/elles ont bien raison ; c'est la responsabilité du réalisateur de mesurer ses forces et les leurs, et de ne pas prendre le spectateur pour un imbécile.
Par charité, nous ne nous étendrons pas sur le scénario, d'une platitude à vomir.
Bref, Les Enfants rouges est un navet, à éviter.
Gauvain
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le 25 janv. 2014

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