Je garde dans ma mémoire l'émission « Les dossiers de l'écran » diffusée pendant plus de deux décennies sur Antenne 2, l' ancêtre de France 2. Le principe en était immuable, un plateau de débatteurs sélectionnés avec soin pour une discussion à bâtons rompus sur le sujet traité par un film préalablement diffusé. Le plaisir du cinéma aussitôt suivi d'un autre plaisir, celui que nous procure un échange d'idées dont son animateur Alain Jérôme veillait à ce qu'il ne tourne jamais à la foire d'empoigne stérile.


Il m'est resté de cette époque une approche documentaire du cinéma qui s'applique même aux films qui n'ont pas ce label et qui sont destinés à notre seule détente et distraction. J'ai ainsi découvert peu à peu que toute fiction porte en filigrane sa partie « essai » et il en est ainsi des œuvres de la littérature comme de celles du 7ème art. C'est ce qui m'a fait m'inscrire en faux contre l'idée qu'une lecture de roman si léger soit-il ou l'intérêt pour un film comique ou dramamatique de pure fiction relèverait de la futilité et de la perte de temps.

Les faiseurs de suisses de Rolf Lyssy sont une belle illustration de ce point de vue. Le film est suisse. Il est une comédie. Rolf Lyssy, son réalisateur est zurichois et très suisse. Christa Maerker, sa complice scénariste est une suissesse pur sucre.


Comment peut-on être suisse ? Ou plutôt comment fait-on pour devenir suisse ? C'est le thème du film et je m'en suis amusé et senti profondément interpelé à la fois. En le revoyant récemment, j'ai vite oublié que cinématographiquement il a bien vieilli et qu'il serait peut-être plus enlevé s'il était filmé aujourd'hui, mais également constaté qu'il n'avait rien perdu de sa tonicité et conservait une ironie salutaire qui envoie tous les « Sgronch Gneu Gneu » dans les cordes.


En 1978, la Confédération helvétique comptait un peu moins de 7 000 000 d'habitants et Les faiseurs de Suisses ont fait quelques 950 000 entrées entre la date de sa sortie et 1997. Mathématiquement, un citoyen suisse sur sept avait vu le film ; peut-être un peu moins si nous considérons que certains n'ont pas dû se priver de le revoir plusieurs fois, seul ou en y entraînant copains et copines ! Il fallut le Titanic de James Cameron pour qu'il soit détrôné du sommet du box-office helvétique. Nos voisins suisses n'étaient sans doute pas plus cinéphiles que nous, mais le succès non démenti du film pendant une vingtaine d'année témoigne d'un sens certain de l'humour et un goût pour l'autodérision qu'on ne soupçonnait pas au pays des banques discrètes, de la fondue, de la vache violette Milka et des pendulettes à coucou déloyalement dérobées aux voisins de Forêt Noire.


Max Bodmer et son nouvel assistant, Moritz Fisher sont des fonctionnaires du Bureau des naturalisations qui enquêtent sur les postulants à la citoyenneté suisse. Ils doivent évaluer le degré de suissophilie du postulant et juger de ses motivations profondes qui se mesurent d'abord à son taux de renonciation aux habitudes et traditions de son pays d'origine. Rien que les critères d'évaluation de la pertinence et de la sincérité de la demande font déjà sourire, la conduite de l'enquête et les conclusions parfois très provisoires de leurs résultats feront le reste.


Rolf Lyssy et sa complice Christa Maerker ne manquent pas d'humour ce qui est une qualité évidente quand on réalise une comédie. Des scènes cocasses parsèment le film. Les deux enquêteurs dissimulés dans un bosquet surveillent avec acuité le drapeau suisse qu'un des prétendants à la nationalité hisse chaque matin dans son jardin devant sa famille réunie. Un autre prétendant est passé maître dans l'art de remplacer prestement le poster de Che Guevara sur le mur de son salon par une gravure représentant Guillaume Tell et son arbalète, chaque fois qu'un visiteur s'annonce.


La nationalité helvétique doit se mériter et quiconque n'aime pas la Suisse dans ses détails les plus infimes et entend conserver une part de l'identité qui fait son charme ne peut prétendre faire partie du peuple le plus consciencieux, le plus honnête et le plus scrupuleux de la terre.

Nous pouvons tirer d'utiles conclusions du travail de Rolf Lyssy et de Christa Maerker pour nous-mêmes. Surtout quand nous souffrons de ce prurit détestable qui consiste à jeter un regard suspicieux sur tout ce qui n'est pas gaulois ou sur tout individu qui n'aurait pas une ligne d'ancêtres gaulois remontant au moins jusqu'au XVIè siècle. On peut persister à manger des spaghettis bolognaises ou mettre de la harissa dans ses plats et se gaver de piments mais est-il bien sûr que ce sont là des habitudes bien françaises qui offrent toute garantie de loyauté ?


On peut parler haut et fort, aimer se réunir nombreux pour mieux rire et se sentir bien ensemble autour d'un repas dont les effluves sortent par la fenêtre de la cuisine pour entrer par la porte-fenêtre du salon du voisin du dessus, mais ne sont ce pas là des pratiques qui font penser à celles d'un ennemi de l'intérieur prêt à nous poignarder dans le dos à la première occasion ?




Freddy-Klein
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le 13 juin 2022

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