Présence de légers "spoils" dans le texte ...
C'est le troisième film de Kaurismaki sorti en 2023 que je vois après "le Havre" (2011), "l'homme sans passé" (2002) ; j'avais vu aussi "Juha" (1999) (puisqu'inscrit dans mes tablettes) mais ne m'en souviens plus du tout …
S'il fallait tirer un premier caractère de ce que je connais du cinéaste, et ce n'est pas "Les feuilles mortes" qui démentira mon propos, c'est que Kaurismaki est le peintre des petites gens qui vivent petitement de petits boulots précaires. Faut-il en tirer une règle générale, je ne sais pas mais ce qui frappe quand on entre dans ce nouveau film, c'est l'impression de froid ou de vide dans les existences des deux héros, Ansa et Holappa ainsi que de leurs semblables. Pas de rêve ou d'espoir au boulot car, là aussi, Ansa travaille sous contrat précaire "0 heure", étroitement surveillée par un patron tatillon qui va la virer pour une peccadille. Et quand il faut chercher un nouveau job, il lui faut louer un ordinateur pour accéder à internet à raison de 10 euros les 10 minutes … Quant à Holappa, comme "il boit parce qu'il déprime et qu'il déprime parce qu'il boit", il se fait virer pour alcoolisme sur le lieu du travail …
Et à la fin de la journée, la vie reste morne avec des gens tristes et résignés. C'est le passage au bistrot pour Holappa ou le retour au logement pour Ansa entre un sandwich et la radio qui ne débite que de sombres nouvelles de guerre et de mort du conflit russo-ukrainien …
Et puis, soudain, en franchissant la porte d'un karaoké, voici que "l'étincelle ténue d'un intérêt réciproque" apparait dans un échange de regards … sous la magnifique "sérénade" de Schubert, chantée par un client du bar. Mais la route sera longue, semée d'embûches et de dérapages, avant de pouvoir espérer en quelque chose de tangible.
La première sortie au cinéma ensemble, c'est pour aller voir un film de zombies "the dead don't die" ! In petto, je me suis dit que ça risquait bien de ne pas le faire ! Eh bien si, contre toute attente, "l'étincelle ténue d'un intérêt réciproque" se transforme en une petite braise préfigurant un amour raisonnable et raisonné qui reste à construire entre deux êtres solitaires, murés dans leur solitude. Et la sortie au cinéma s'achève, sous les bons auspices de l'affiche de "Brève rencontre" de David Lean, par une petite bise prometteuse sur la joue de Holappa.
D'ailleurs, outre le film de zombies, le cinéma est présent partout dans ce film apportant une touche amusée (les remarques des cinéphiles sortant du cinéma) sans oublier les nombreuses affiches dont celles de "Rocco et ses frères" de Visconti ou encore de "l'argent" de Bresson. Mieux, le nom du chien d'Ansa qui va s'appeler Chaplin …
Et à quelques minutes de la fin, le visage d'Ansa, arbore, enfin, un timide puis un vrai sourire plein de chaleur avant un dernier plan plein d'espoir – à la Chaplin ? - cette fois, sous les paroles romantiques de la chanson de Prévert (en finnois) "les feuilles mortes"