"Les filles d'Olfa" est un film unique en son genre, le film étant son propre making-of.
Le concept est simple : faire jouer à des actrices professionnelles les filles perdues d'Olfa et les sœurs de ses 2 filles restantes, parties rejoindre Daech en Lybie, pour raviver ses souvenirs et raconter son histoire tout en l'illustrant devant elle.
Une manière thérapeutique pour la famille de revivre le passé tout en l'expiant, donnant des scènes très difficiles de faux miroirs (parfois littéralement) où Olfa se retrouve face à l'actrice interprétant son propre rôle et récitant ses propres pensées face à elles, ou encore de confrontation avec ses filles et à sa propre méthode d'éducation.
C'est une démarche fascinante, où ce jeu théâtral et le cinéma permet à la famille de se soigner, en mêlant documentaire et fiction, mais à un tout autre niveau que celui qu'on entend habituellement.
On peut s'attendre à une simple alternance entre documentaire et illustrations dans des parties fictionnelles comme dans un documentaire Arte mais ça va bien au delà : c'est un hybride total qui est proposé où le montage brouille la frontière entre l'implication de cette partie fictionnelle dans la partie documentaire, montrant littéralement le tournage de celles-ci.
Le film est donc son propre making-of et nous montre que c'est aussi une forme de cinéma de montrer la création même d'un film. Ici c'est utilisé brillamment pour montrer en quoi la réalité nourrit la fiction et inversement.
Un jeu de ping pong où des scènes sont jouées dans un premier temps avec des plans magnifiques, une photographie superbe et un beau sens du cadre, puis coupées dans le même plan par des remarques des acteurs s'arrêtant de travailler pour qu'Olfa et ses filles rebondissent sur la scène pour en discuter.
À ça s'ajoutent les différentes thématiques : le féminisme en Tunisie, l'éducation, la religion, et l'évolution de tout ce prisme là dans le pays depuis le printemps arabe.
Le film sait allier parfaitement l'intime et enjeux politiques.
Olfa se rend compte au fur et à mesure du film que son éducation fait aussi partie du problème de ce système patriarcal là, et espère que ses filles ne reproduiront pas les mêmes erreurs et laisseront leurs filles à elles être plus libres, libres de leurs corps, libres de leurs croyances, et on attend une révolution sexuelle en Tunisie comme on l'a eue en 68 en France.
J'avais déjà vu les très poignants 'L'homme qui a vendu sa peau' et 'La belle et la meute' de la même réalisatrice, Kaouther Ben Hania, et 'Les filles d'Olfa' nous prouve à tous que c'est une réalisatrice à suivre, tant sa démarche n'est pas juste singulière mais vraiment unique, c'est le mot je pense.