"Qui sème des épines ne peut moissonner que des peines et des afflictions." Bien avant de devenir le principal fournisseur mondial de protections contre le Covid-19, la Chine exportait ce type de proverbe, applicable à n'importe quelle action menée, individuelle ou collective et valable en tout milieu géographique. La France n'a pas l'apanage d'en échapper. Bien au contraire. Voici les récents fruits pourris disponibles sur les étals français : la loi travail El Khomri, la loi pour une école de la confiance dite Blanquer, celle "anti-casseurs", puis la loi "sécurité globale" et notamment son article 24 tant décrié. Si la logique est suivie, quoique déroutante, suivra le projet de loi sur la réforme des retraites. Ainsi, l'avenir de la jeunesse française, en plus d'être actuellement masquée et voilée, sera semblable aux 12 travaux d'Hercule.


Dans le traitement des récentes complications sociales et politiques critiquées par les Gilets Jaunes, François Ruffin et Gilles Perret ont été les plus rapides à en tirer un récit cinématographique, mais pas les plus perspicaces avec J'veux du soleil. Suivit David Dufresnes avec son documentaire Un Pays qui se tient sage. Le premier tient à donner voix au chapitre à ceux qui ne l'ont pas, c'est-à-dire aux concernés tandis que le second se focalise davantage sur les violences policières. Plus axé sur la jeunesse et son avenir incertain, Les Graines que l'on sème est le troisième pamphlet politique qui, soit dit en passant ne cache pas son anti-macronisme mais inclut aussi dans sa conception les victimes de ce système techno-capitalistique, ici les lycéens. Tout commence en 2019 quand le réalisateur Nathan Nicholovitch débarque dans un lycée de banlieue parisienne pour initier un atelier cinéma.


Dans le lycée d'Ivry-sur-Seine dans lequel arrive Nathan Nicholovitch, ce dernier ne peut occulter le climat ardent et ambiant de l'établissement. Le lycée est en blocus depuis que 6 lycéens ont été placés en garde à vue, accusés de « dégradation aggravée » après la découverte d’un tag MACRON DÉMISSION sur un panneau à l’entrée du bahut. De cette situation initiale, Nicholovitch sème un élément tragique : Chiara. Personnage fictif, qui n'a ni voix ni corps, Chiara est assimilable à une Antigone inversée. L'ennemi n'est plus le roi Créon mais le président Macron. Chiara aussi était en garde à vue mais jamais elle n'est ressortie du commissariat. Ce n'est donc pas elle mais le combat de ses proches que l'on suit. Cette invention fictionnelle qui ne cesse de puiser sa source dans le réel, porte à son paroxysme les émotions et les doutes d'une jeunesse, mais pas seulement, concomitantes à la prolifération de la violence.


Si Chiara est absente à l'image, son ombre est de tout instant. Elle est le sujet central des conversations de groupe et au cœur des hommages qui lui sont rendus, à l'église, au cimetière, à un concert ou encore au lycée. Ainsi, les voix sont plurielles. S'agacent et pleurent les membres de la famille, doutent et s'interrogent ses amis, soutiennent et rassemblent les professeurs, écoute la psychologue, s'indigne le parlementaire, marchent les gilets jaunes. Dans ce long temps du deuil, où s'agrègent colères et craintes, le poids de l'absente est contrebalancé par celui des voix et des visages. Ce sont notamment les zooms avant qui permettent d'en souligner toute la tragédie. De ce présent déjà passé, est venu le temps de s'interroger sur un avenir balafré. La perspicacité et l'honnêteté des acteurs, peu mis en défaut, donnent un souffle vigoureux à des questions aussi simples qu'elles sont importantes : quel meilleur système politique est possible ? L'école est-elle utile ? Comment ?


Les Graines que l'on sème est un pamphlet politique assumé, écrit conjointement avec des lycéens pour qui, selon le réalisateur, "leur réalité se révélait grâce à la fiction, et cette même fiction se muait en réalité." La Police, "violente","coloniale" et "bestiale" dépeinte par la grand-mère de Chiara profite des lois liberticides que lui offre le Macronisme. Heureusement, les citoyens ne se sont pas encore murés dans un silence total et dérangeant, ils se questionnent, eux-mêmes et les uns les autres en donnant encore de la voix à coup de "Macron démission". Si la cible est toute désignée et qu'elle a une part de responsabilité non négligeable dans ce carcan, il devient difficilement soutenable d'en faire l'unique coupable. Les graines semées par ce long-métrage ne doivent pas non plus phagocyter toutes les autres, celles des voix discordantes d'une jeunesse complexe et plurielle.


En conclusion, les voix tonnent et, pendant ce temps-là, pendant que les barricades s'érigent, pendant que l'armée prend position sur les Champs Elysées, rappelant la scène finale du film de Jean-Pierre Melville l'Armée des Ombres, la voix de Friot fait larmer les ombres. Cette voix donne un écho à la plume d'Aragon dans un poème intitulé Réponse aux Jacobins qui s'applique pleinement à notre Président jupitérien et à tous ceux qui l'entourent :


"Je salue ici


ceux qui surgirent de la boue avec


à la bouche un grand cri


et tournèrent


leurs armes du côté de la Marseillaise


Et ceux qui dirent Feu


sur eux


sont encore de ce monde"

thomaspouteau
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le 22 nov. 2020

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