René Clément n'est pas n'importe qui au sein du cinéma français, c'est le moins que l'on puisse dire, notamment après le visionnage des Maudits. Ce semi-huis-clos à l'intérieur d'un U-Boot, troisième film de Clément par ailleurs, relève d'une certaine maitrise voir d'un avant-gardisme complet au sein du cinéma de 1947. Moussaillon, paré pour la plongée !

Au lendemain de la guerre, on se retrouve en présence d'un film mettant entre autre en scène un point de vue germanique. Oui et non, cela dit, car l'histoire demeure contée par un Français, ce médecin qui se fait enlever par l'équipage du submersible. Nous voilà donc bloqués au milieu de cette cocotte-minute de sous-marin prête à exploser. Rapidement, les personnages finissent par s'affronter. On pourra toujours crier au cliché dans la vision des Allemands, à cela nuançons néanmoins que les proportions sont gardées dans la mesure où les supérieurs sont certes relativement pourris, des « méchants nazis pas beaux » (comme le cinéma a su nous gâter avec), mais Clément ne manque pas de nuancer ce constat avec un équipage de marins très humain. De pauvres diables, en somme. Peut-être pas assez exploités... Dans l'ensemble les personnages demeurent cohérents et plutôt justes, malgré l'assez mauvaise prestation d'Henri Vidal, incarnant le personnage principal, médecin et narrateur des évènements.

C’est d’ailleurs le principal défaut du film. D’une part, il s’avère que la narration est confuse et plombe plusieurs fois le film. Donnant lieu parfois à de très beaux moments (la distanciation de la voix-off peut être intéressante, il y a ce côté Nouvelle Vague avant l’heure), la plupart du temps cela arrive comme un cheveu sur la soupe, avec un caractère superflu. Le film aurait pu faire sans, mais visiblement il témoigne de cette volonté que la transmission de l'histoire du personnage principal soit "cohérente", "logique". C'est dommage dans la mesure où cela finit par créer une certaine prévisibilité dans le film. Il y a de quoi se montrer sensiblement sceptique sur la fin, inéluctable sous certains aspects (et tant mieux), mais trop facile concernant le destin du héros.

Passé ces défauts, Les Maudits est un film classieux. Orné par un noir et blanc bigrement bien exploité, le métrage maitrise superbement bien son (étroit) décor. Il se permet même un long-plan en caméra épaule parcourant le sous-marin dans la longueur, à travers les différents compartiments. Bluffant de modernité. Une telle utilisation de la caméra épaule en 1947 au sein d'un film de fiction a un côté inédit. Notons aussi une scène de cache-cache dans un entrepôt, prenante au possible, filmée avec brio. Les Maudits a sans aucun doute influé Wolfgang Petersen, près de 35 ans plus tard, dans Das Boot (Le Bateau dans son titre français). On retrouve régulièrement la même essence dans le découpage, notamment ces angles de caméra "fixés" sur le sous-marin, à l'extérieur, lorsqu'il navigue. Clément maitrise ses outils.

Un dernier point sur la musique : certains passages sont remarquables. Lancinante, lourde, évoquant un destin funeste et inéluctable... Elle se fait entendre justement dans ce fameux long-plan parcourant le sous-marin. Hélas, de manière générale, elle est presque trop peu utilisée. Il ne faut pas non plus saturer le film car certains passages silencieux fonctionnent à merveille, mais une telle composition, hypnotisante au possible, aurait pu être plus exploitée.

Quoi qu'il en soit, Les Maudits est un film fort intéressant à découvrir. C'est peut-être par son caractère parfois très moderne qu'il s'entache avec certains défauts. On en retient néanmoins de grandes qualités, et surtout un film sévèrement burné.

La critique sur Cineheroes : http://www.cineheroes.net/flashback-les-maudits-de-rene-clement-1947

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le 14 juil. 2013

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Lt Schaffer

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