Il y a des films que l'on regarde. Assis tranquillement sur un fauteuil de cinéma, une chaise de bureau, ou un tabouret en osier (qui sait?) ou allongé telle la plus élégante des créatures sous sa couette, sur le canapé ou par terre parce que « non regarde comme le chat est mignon à dormir, tu vas quand même pas le dégager », on pose nos yeux indolents sur l'écran près à analyser les détails, à se concentrer sur l'histoire, à se la jouer critique aux Cahiers, aussi pointilleux qu'une fonction affine, aussi délicieusement cruelle que mon chat qui dort encore sur le canapé. Et il y a ces films que l'on vit. Alors là c'est la fanfare, pareil à devant un match de rudby on se lève parce que « va pas par lààààà putain » ou on se recroqueville avec douceur en PLS parce « ouiiiiiiiiiiiiin » ou plein de panique on se met à crier « mais reste !!!! » devant Interstellar. Alors là il n'y a plus rien, plus d'analyse, plus de cruauté, c'est de l'émotion pure monsieur. Même si ça ne nous empêchera pas, plein de mauvaise foi, de dire que « bon les jump-scare c'est facile », « arf c'était vachement tire-larme quand même, pfff » ou « ceci est une aberration scientifique ». Je suis la mauvaise foi comme nous tous, mais il y a bien un film sur lequel j'ai décidé de cesser de me voiler la face pour assumer pleinement le pied immense que je prends à le regarder ; oui mesdames et messieurs, vous ne rêvez pas, il s'agit bien des Misérables de Tom Hooper, l'ultime choux-croûte à Oscars qu'on adore détester et que moi, j'adore adorer.


Donc, Les Misérables est un film de Tom Hooper sorti en 2012 qui est dans la droite lignée du « oui bonjour mon dernier film a eu plein de prix alors je vais faire pareil avec le second car j'aime fondre des statuettes pour avoir un parterre en or » (sachez que je me fantasme avec la voix de Karim Debbache). Lorsque le film apparaît dans nos salles obscures, le tollé est immense, peu apprécie, beaucoup trouvent ça trop gros, trop pompeux, trop long, trop chantant, trop Hugh Jackman, trop « I AM JEAN VALJEAN », trop trop trop (tro tro rigolo). Il faut dire que notre Tom n'y va pas avec le dos de la cuillère comme on dit dans la matrice. Plans virevoltants à la grue, Hugh Jackman métamorphosé, postillonnant, qui nous fait démonstration d'un coffre insoupçonné, Anne Hathaway a qui on rase le crâne (dommage qu'ils n'aient pas été jusqu'à lui arracher les dents pour la beauté du cinéma) et qui mêle pour le plaisir (ou pas?) de nos tympans des notes tremblotantes au sel larmoyant, des morts, des chorales et tout ceci pendant presque trois heures. Le film avec son excès de tout, se mut en un produit kitsh qui s'ignore, alors qu'on réalise que sa dimension de film-opéra aurait plu à Jacques Demy.
Le film dans un premier temps, décontenance. Déjà il faut accepter de voir un grand roman de la littérature française chanté en anglais, ce qui met en évidence des contrastes qui peuvent, je le conçois, perturber. Repensons au célèbre « - My name is Jean Valjean ! - And mine Javert ! » qui nous partage entre le rire et les larmes, l'épique et le pathétique. Ajoutons à cela que ça chante beaucoup dans les Misérables. Il s'agit réellement d'un film-opéra si on omet deux trois répliques pour prétendre que non, et force est de constater qu'à part le succès inespéré des Parapluies de Cherbourg, on est que trop peu habitué à ce drôle de genre comme le démontre l'échec critique et commercial d'Une Chambre en Ville (« Demy ça suffit ! »).


Les Misérables c'est un peu comme quand on dit à sa grand-mère « j'aime les lasagnes, les sushis et la tarte au citron meringuée » et qu'elle fait des lasagnes au poisson cru meringuées : il y a tout ce qu'on aime mais mélangés, c'est un peu écœurant et surtout très bizarre. Mais après plusieurs bouchées, plusieurs essais, on réalise que même dans un immense machin boursouflé de partout, on peut trouver une grâce et un plaisir insoupçonné. Car oui, mesdames et messieurs, je n'ai pas aimé Les Misérables au premier visionnage mais je l'ai revu un nombre de fois si honteux (je préfère ne pas le dévoiler) que j'ai fini par l'adorer, l'appréciant un peu plus à chaque visionnage. Il est devenu mon plaisir coupable favori, ma tablette de chocolat dévorée d'une traite en secret et il me rend heureuse.
Parce qu'une fois qu'on a décidé de se débarrasser de tout ce que ce film a d'étrange, de raté, de too much, pour apprécier l'effet qu'il est censé produire, il prend un tout autre sens. Moi, devant Les Misérables je pleure pour les révolutionnaires abattus pour leur idée, je chante avec Hugh Jackman, je désespère avec Russell Crowe et je deviens ce peuple, ces personnages, me laissant entraîner dans ces chants épiques jusqu'à bondir du sol en hurlant « DO YOU HEAR THE PEOPLE SING ?! » faisant enfin détaller le chat. Parce que ces acteurs aux expressions exaltées, ces chansons orchestrées de trompettes et de violons, et ces cadavres qui s'empilent dans la rue du pathos sont là pour nous faire vivre. Pourquoi être distant face à un film qui cherche à n'être qu'un gigantisme d'épique ? Moi devant Les Misérables je chante, je crie et je pousse les pauvres innocents, contraints par mes supplications à regarder le film avec moi, à lever les bras et chanter à pleins poumons « ONE DAY MOOOOOOOORE ».

Je suis quelque peu fan de Victor Hugo, du genre s’il était encore en vie je pourrais faire des heures de queue pour une petite dédicace et j’aurai dans ma chambre un poster d’une photo de lui, la tête dans la main comme il aimait le faire, posant déjà tel un Michael Fassbender du XIXe. Victor Hugo c’est des milliers de pages, c’est des lignes de descriptions détaillées, des personnages aux valeurs plus dures que la roche, des comparaisons, allégories, images à tout va qui s’empilent dans sa poésie romanesque que certains trouvent lourde mais qui a une beauté épique et exaltante inégalable. Parfois je me dis, dans des instants de folie passagère après plus d’une heure et demi à chanter (c’est creuvant, n’essayez pas), qu’il l’aurai apprécier finalement ce film trop grandiloquent, qui a décidé de jeter la subtilité à la poubelle pour dévoiler des corps miséreux et sales qui se dressent sur le dos de la révolution devenant des figures mythique de la pauvreté hurlante. « La vie, le malheur, l'isolement, l'abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros, héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. » écrivait ce bon vieux Victor alors que je vois se dresser Hugh Jackman, qui n’est plus Wolverine mais bien l'image hyperbolique du héros hugolien, gigantesque, énorme, parfait et bon. Alors bien sûr, j’en fais des tonnes, tout le monde sait que Victor se serait étouffé découvrant que le film ne fait pas huit heures, mais quand même. Devant Les Misérables parfois j’ai l’impression de revoir cette épopée des oubliés, des petits, qui dans ses lettres sont devenus magnifiques et majestueux, et qui derrière cette caméra se meuvent dans ce grand Paris lumineux en chantant leur révolution.


On a souvent peur, de découvrir Les Misérables et une fois que c’est fait on n’a pas envie d’y retourner. Mais telles d’autres premières fois (clin d’œil gras et grossier – j’ai honte de moi), je conseille à tous de braver encore et encore les vagues qui ouvrent le film pour l’apprécier, comme on se galvanise devant un spectacle, comme on se sent grand de voir Paris et ses parisiens magnifiés par le regard halluciné et illusoire d’un britannique, comme on aime croire en le mensonge qu’étaient ses terribles révolutions.


Je devrais animer des projections de ce film en tant que chauffeur de salle. Ça payera masse. « En exclusivité, Les Misérables présenté, chanté, dansé, mimé par Batman pour une ambiance qui égale le Rocky Horror Picture Show ».

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le 13 déc. 2016

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