À la manière des « particules » qui donnent au film son titre et qu’une scène montre errant dans le vide, en attendant de s’agréger, ce premier long-métrage de fiction du réalisateur franco-suisse Blaise Harrison prend d’abord des allures de dérive. Une dérive adolescente, rassemblant quatre lycéens de la contrée de Gex, à la frontière franco-helvète. Venant du documentaire, le réalisateur s’attache à rendre leur complicité, en cours, dans l’espace du lycée, autour de la musique - rock nécessairement - qu’ils créent ensemble dans un garage clos, chez les parents ou les amis des uns ou des autres... Mais la proximité du centre de recherches nucléaires, le CERN, que les jeunes gens visitent dans le cadre scolaire, et de l’accélérateur de particules qu’il abrite souterrainement, le LHC, perturbe le réel qui les entoure, provoquant d’étranges phénomènes sur le terrain, les animaux, peut-être même leur existence... Hypersensibilité perceptive du héros, P.A., magnifiquement interprété par Thomas Daloz ? Trouble de la personnalité adolescente ? Effets consécutifs à l’absorption de drogues inhabituelles ? Recours au fantastique ?... Très subtilement, le scénario ne tranchera pas, permettant à ces différentes pistes de se nouer ensemble. Richesse de la fiction et de l’art, qui n’imposent pas les choix interprétatifs auxquels contraint le monde réel.


Un monde réel qui est pourtant bien représenté. Rarement les adolescents se seront vus filmés avec une telle authenticité, dans leurs postures, leur démarche, leurs mines, leurs cheveux, la touchante maladresse, voire le laconisme de leurs échanges... La méthode de Blaise Harrison et sa direction, encore marquées par la pratique du documentaire, expliquent ce naturel : les acteurs - Salvatore Ferro, Léo Couilfort et Nicolas Marcant tiennent compagnie à Thomas Daloz - sont non-professionnels, recrutés au terme d’un casting patient dans la région de Gex ; ils jouent dans leurs propres habits, et leur entourage familial est celui de la réalité. Comme chez Ken Loach, le scénario ne leur était dévoilé qu’au jour le jour, et aucun texte écrit ne leur était remis...


D’où ce caractère flottant, si particulier et si propre à l’adolescence. Le monde, pourtant bien terne, qui est le leur, dans les paysages hivernaux de ces contreforts du Jura, semble ne pas leur apparaître comme tel, grâce à tous les filtres qu’ils interposent dans leurs perceptions. Et Colin Lévêque, à l’image, parvient d’ailleurs à en recueillir la beauté, soit dans une banalité touchante, parfois presque poétique, comme la maison décorée pour Noël, soit dans une étrangeté fascinante, comme lorsque des lueurs insolites traversent de paisibles paysages de campagne...


Il faudra l’amour, porté par la silhouette délicate de Roshine (Néa Lüders), pour que les particules errantes que sont les adolescents, ces bombes nucléaires contenant en eux tant de possibles qu’ils en sont totalement désorientés, commencent à trouver leur nord et un début de sens à leur orientation...


Si Truffaut avait su magnifiquement approcher l’enfance, on peut avoir ici le sentiment que peu d’œuvres filmiques ont su, jusqu’alors, se poser avec tant de délicatesse sur l’étrange planète qu’est l’adolescence.

AnneSchneider
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le 6 juil. 2019

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Anne Schneider

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