Le film de Claude Autant-Lara le précise au début : le département des Ardennes fut déclaré par l'armée nazie comme "zone interdite" car destinée au repeuplement par des allemands (qui en fait boudèrent ce territoire). En particulier, les populations françaises réfugiées en zone dite "occupée" au moment de l'invasion en 1940 ne furent pas autorisées à revenir. La frontière de la "zone interdite" était particulièrement hermétique.
L'histoire, semble-t-il véridique, racontée dans le film évoque le grand isolement de ces populations, accompagné d'une pénurie alimentaire accentuée.
Chez Clovis (Pierre Perret), on arrive à la fin du stock de pommes de terre. Avec son père (Henri Virlogeux) et sa femme (Bérangère Dautun), ils imaginent d'aller trouver au delà de la frontière des semences de pommes de terre (hâtives) pour en produire. Mais voilà, ce champ devient la convoitise de bien du monde, que ce soit des autres villageois d'abord, des allemands qui stationnent dans le village (et qui bavent devant le champ de Kartoffeln) et même des doryphores qui s'invitent au déjeuner dans le champ. Jusqu'au drame qui fera que les pommes de terre reviennent vraiment très cher cette année-là dans les Ardennes.
Pierre Perret, qui joue le rôle du personnage principal, n'a pas fait beaucoup de cinéma. Sa prestation dans ce film est très honorable. Il est très convaincant dans son personnage d'ouvrier-fondeur, brut de fonderie (c'est le cas de le dire), irascible et pourtant le cœur sur la main.
Henri Virlogeux joue toujours très bien les gens sentencieux ; ici le père qui est de bon conseil.
Bérangère Dautun qui est surtout une actrice de théâtre (Comédie Française) joue le rôle de l'épouse de Clovis et fait preuve d'une grande patience avec son lourdaud de mari. Son personnage apporte du charme mais aussi de la finesse et même de l'émotion. J'ai trouvé que la mise en scène du couple Perret/Dautun était très crédible notamment dans l'image finale.
Puis les autres personnages secondaires sont de bons acteurs habitués des seconds rôles du cinéma français. Comme Rufus ou Balutin en voisins envieux, Marc Eyraud en épicier ivrogne.
Une petite mention pour Luce Fabiole qui joue souvent les grand-mères pleines de bonté ("le vieil homme et l'enfant") ou les servantes ("Le soleil des voyous"). Elle fait partie de ces actrices qu'on aiment bien trouver au détour d'un film.
La mise en scène d'Autant-Lara en décors réels dans les Ardennes est réussie avec de beaux plans des forêts ou encore de la Meuse. La mise en scène sert bien cette histoire simple que ce soit dans les scènes comiques (les allemands qui attrapent la courante) comme celles dramatiques. Par exemple, cette scène dramatique où on n'entend dans la nuit et dans le silence que le grincement de la roue de la brouette.
On peut dire que ce film est un peu la réplique provinciale ou campagnarde de l'autre grand film d'Autant-Lara "La traversée de Paris". Mais contrairement à ce film qui est dur et cynique, "Les patates" est beaucoup plus touchant, avec un parfum d'amertume et finalement assez dramatique.