À peine quelques semaines plus tard que la sortie de Nos Héros sont morts ce soir (présenté lui aussi à la Semaine de la critique), Les rencontres d'après minuit fait à nouveau office d'OVNI hexagonal mystérieux et tapageur (et d'autre part, de surprise mésestimée). Sevré à l'exercice du court, Yann Gonzalez se jette à corps perdu dans un projet insensé, qui aspire des années de gavage de cinéma bis (il le revendique et c'est tant mieux) et de promenade cinéphilique éclectique. Mais l'idée principale, c'est aussi de se défaire d'un cinéma français linéaire, engoncé, qui ressasse et se résiste.

Au commencement, un scénario de film porno, ou plutôt un rêve de film porno : un couple bourgeois et leur bonne travestie accueillent quatre invités (l'Étalon, l'Adolescent, la Star et la Chienne) pour une orgie jusqu'au bout de la nuit. Ce qui aurait dû virer Dorcel va cultiver son champ ailleurs : ici, le Bunuel du Charme discret de la bourgeoisie s'invite au Breakfast Club, dont il reprend le huis-clos où les contraires s'attirent. Ce qui frappe dès les premiers instants, c'est l'imaginaire de Gonzalez, qui persiste, flatte, inquiète : doux cauchemar ou féerie érotique, on ne sait plus. Et on se laisse aller...

Autour d'un couple d'amants séculaires et angoissés, s'activent des archétypes (comme chez John Hughes donc) qui brisent la glace. Ce qui aurait pu être chaotique garde une unité fascinante ; son casting lui doit beaucoup : Cantona inattendu en poète déchu et membré, Fabienne Babe touchante en étoile fassbinderienne, Delon Junior magnétique en fugueur sorti d'un Genet... Gonzalez souhaitait déjà dénoter à travers son choix de comédien, visant ce qu'il appelle lui même une "harmonie bizarre".

Tout concourrait donc à quelque chose de profondément pornographique, ou au pire, comique. Si le film de Gonzalez peut faire sourire, il refuge de séjourner là où on l'attend : chaque personnage laisse éclater des fragments de vie que l'on peut croire ou pas, voguant entre rêves, souvenirs, légendes ou projections. Un fantastique assumé se glisse alors entre ces virages, et le désir monte autant que la mélancolie grandit. Là un plan renvoie à La Belle Captive de Robbe-Grillet, plus loin on songe à Cocteau et Jean Rollin, Ilsa s'invite le temps d'une scène (incarnée par...Beatrice Dalle !), un intermède aux allures de conte emprunte aussi bien à Eric Rohmer qu'à Mario Bava. Des parfums rares et nombreux mais qui ne noient jamais les intentions de Gonzalez...

Rituel d'amour, cérémonie pansexuelle, Les rencontres d'après-minuit ne se renie jamais et s'invente : sa mélancolie grandiose, bercée par l'incroyable b.o de M83 (évoquant Francis La période eros-soft ou François de Roubaix), ne cesse de nous renvoyer à la fragilité de l'homme, à la beauté des instants suspendus. Car aussi cochon soit-il, on se surprend à y déceler une tendresse infinie (l'incroyable scène de baisers dans l'obscurité), célébrant le plaisir mais sublimant les élans du coeur. Et si de chair trouble et ardente il est question, Les rencontres d'après minuit c'est aussi un immense poème voué à la nuit, à ses peurs, ses errances, ses forêts noires, ses fantômes, ses merveilles.

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le 21 nov. 2013

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