Plus encore que par le rêve de révolution qu’il déroule de film en film, en d’obsédantes volutes,Miklos Jancso nous touche ici par la pure concrétisation du concept concentrationnaire. Sous l’influence directe de Donskoi et de Wajda, mais aussi d’Antonioni, il affirme sa volonté d’échapper à l’hagiographie et d’y substituer une vision syncrétique de l’histoire. Sensible à l’imposture des idéologies, à la vanité des révolutions, il les dénonce au contraire par la maestria d’une mise en scène qui se construit métaphoriquement comme mouvement orbital autour d’un axe, signifiant ainsi l'emprise totalitaire sur une société d’individus considérés comme des pions que l’on déplace à sa guise. L’impression d’un piétinement sans but, d’un dérisoire « éternel retour » des mêmes injustices, de la même tyrannie s’exprime en une mise ne scène ample, presque solennelle, fondée sur une dilatation spatio-temporelle inspirée de la chrorégraphie.Le recours au plan séquence, l’obsession de la circularité, la structure chorale de l’ensemble aboutissent à des ballets allégoriques, qui se déploient comme des reflets changeants d’un kaléidoscope, traduisant de manière particulièrement sensible l’univers oppressant d’un milieu carcéral, symbole de celle d’une société toute entière. On pense à la ronde des prisonniers de Van Gogh, aux géométries hallucinantes de Beckett, stigmates d’un ordre implacable dont les découpages arithmétiquement composés tissent une toile d’araignée inexorable qui nous annonce l’univers du goulag.