Les attardés réactionnaires nous avaient pourtant prévenus : le cinéma français ne sait que parler des bobos parisiens et des migrants. Les Survivants coche la deuxième case, et en énervera plus d’un dans sa volonté de créer du thriller en opposant la migrante afghane aux fachos bien décidés à la traquer pour l’empêcher de passer la frontière entre l’Italie et la France.

Les Survivants ne cache pas longtemps ses ambitions de genre : le protagoniste, taiseux et blessé dans sa chair comme dans son corps (Denis Menochet, qui, tout le monde le sait, peut se contenter d’un regard pour vous crucifier), a tout du random guy en attente de circonstances pour déchaîner une violence trop longtemps rentrée, tandis que le décor des Alpes est l’écrin parfait pour un survival de derrière les chalets. Enfin, le western est très vite convoqué dans ces figures d’antagonistes peu complexes, dont la fonction consiste avant tout à rendre plus difficile le périple, et nombreuses les embûches.


Pour son premier long métrage, Guillaume Renusson ne démérite clairement pas dans sa capacité à définir ses personnages, notamment dans les scènes d’ouverture sur un rapport père-fille où les silences se révèlent de sourds cris de souffrance. Les longues séquences muettes (marche dans la poudreuse, cache et manœuvres pour maintenir en vie des corps frigorifiées) sont les plus réussies, accompagnée par une photographie et un travail sur le sound design qui sondent avec talent la nuit effrayante et grandiose des montagnes.


L’ensemble se révèle donc prometteur parce que le récit, réduit à ses arcs les plus bruts, ne cherche pas à disserter ou dériver vers le tract politique. La violence est palpable, les séquences tendues et l’efficacité indéniable dans l’appréhension des différents espaces, la neige vierge, la forêt ou le dédale d’un restaurant hors-saison. Mais à partir du moment où les échanges se verbalisent, les faiblesses d’écriture tendent à s’accumuler, et la difficulté à caractériser les opposants est patente. On remarquera la volonté d’une parité dans les figures du mal par une figure fasciste féminine, déjà présente dans Les Rascals également à l’affiche en ce moment, mais avec une maladresse assez gênante. De la même manière le mécanisme avec lequel les traqueurs retrouvent à intervalles réguliers les fugitifs frôle la paresse d’écriture, et le dénouement où l’on prend soin d’équilibrer les forces du mal (un gendarme bienveillant, un foyer d’accueil humaniste, la résilience du deuil) dérive vers la copie scolaire. Rien qui ne soit finalement améliorable dans les films à venir de Guillaume Renusson, qui fait là une entrée prometteuse dans un genre encore trop peu exploité dans l’hexagone.


Sergent_Pepper
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le 16 janv. 2023

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