L'affiche et le générique précisent bien que "les tueurs" est tiré d'une nouvelle d'Hemingway. Une nouvelle qui fait une quinzaine de pages. Comme on sait, "Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des pages" … Oui mais sauf que le scénario du film est effectivement très fidèle à cette quinzaine de pages qui correspond aux dix premières minutes du film soit environ 10% du scénario. Les 90 % restants sont le résultat de l'imagination des scénaristes Anthony Veiller et, si j'ai bien compris une information trouvée dans un bonus du DVD, Richard Brooks et John Huston.

Bon, on ne va quand même pas mégoter devant autant de compétences réunies d'autant plus que le scénario est particulièrement bien ficelé dans un machiavélisme de bon aloi. Façon puzzle.

C'est ce que j'appelle un scénario à tiroirs. On démarre par l'assassinat d'un homme, pompiste dans une petite ville, dont la vie semblait sans histoire. Sa mort déclenche le versement d'une petite assurance-vie de 2500 $ à une vieille dame qui semble ne même pas connaître le donateur, intriguant l'agent d'assurance qui mène une enquête de routine. Peu à peu, tiroir après tiroir, l'agent en vient à lever la grosse affaire qui va renflouer la compagnie d'assurances. Et le film est intelligemment construit autour des rencontres successives qui vont, témoignage après témoignage, flash-back après flash-back, affiner le portrait du pompiste qu'on découvre boxeur puis mauvais garçon puis amoureux d'une belle femme fatale.

La première fois que j'ai vu ce film, je crois que je n'avais pas réalisé que les deux hyper vedettes n'en étaient, en 1946, qu'à leur tout premier rôle d'importance. Elles n'étaient donc pas des stars à ce moment-là.

Il s'agit de Burt Lancaster dont c'était le premier rôle au cinéma et d'Ava Gardner dont c'était quasiment le premier vrai rôle. On ne peut qu'être ébloui par leur prestation. D'abord Burt Lancaster dans le rôle du boxeur fini qui bascule du mauvais côté est très convaincant dans sa désinvolture et son fatalisme, dans ses moments de tendresse et ses moments de rage. Après une correction soignée lors de son dernier match de boxe qui se termine par un KO, c'est avec une certaine sérénité et confiance qu'il aborde l'avenir et surtout la volonté de se hisser au-dessus de sa condition. Sa première rencontre avec la si séduisante Ava Gardner lors d'une réception le subjugue au point d'en oublier la fille qui l'accompagnait. C'est une scène extra où il se détache de son passé (stable) pour rejoindre un futur (improbable).

Quant à Ava Gardner qui est au centre de l'intrigue, elle est formidable en belle jeune femme romantique cachant une âme noire et une grande faculté de manipulation. Les hommes, comme ce grand dadais costaud de Burt Lancaster, elle les mange tout crus et tout habillés. L'habileté de Siodmak sera de nous la dévoiler peu à peu en transformant lentement son image de pure jeune fille aimante en fieffée garce dangereuse.

La photographie est très travaillée en jouant sur les variations de lumière, la nuit, lors des parties de poker, lors du match de boxe, dans l'alternance des scènes au moment de l'enquête (de jour) avec le flash-back correspondant (de nuit ou sombre) et le fondu enchainé systématique qui permet de passer d'une période à une autre. Du grand art.

La quintessence du film noir, vénéneux et fatal.


JeanG55
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le 1 sept. 2022

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