Le docteur en psychiatrie Antonio Lobo Antunes fut appelé sous les drapeaux et envoyé faire la guerre en Angola au début de l'année 1971. Deux ans dans le vert de la guerre dont il reste un roman et 280 lettres envoyées à sa femme Maria José. Le film d'Ivo M. Ferreira est aujourd'hui l'adaptation subtile pour le grand écran du recueil publié en 2005.
Selon un dispositif très simple, le film donne à voir dans un magnifique noir et blanc le quotidien de la guerre (l'attente, la promiscuité, l'adrénaline, l'horreur) et en même temps donne à entendre, par la voix de la récipiendaire, les mots de la correspondance. Le spectateur de la VOST (plus indispensable que jamais) est sollicité par un double regard, celui des images et du texte et un double son, celui de l'action, très soigné et celui de la langue. Ce dédoublement renvoie à la brûlante séparation qui est au coeur de la prose épistolaire. Antonio est à la fois médecin en guerre mais aussi amoureux intemporel, mari fidèle, amant rêveur puis père chimère. L'image et le texte forment un ensemble synesthésique où la première, loin d'illustrer le second, l'amplifie, lui répond, le décante. Un dispositif suffisamment riche pour supporter une forme de langueur voire de ressassement qui correspond parfaitement à la répétition des lettres et à leur contenu de refrain amoureux. Car en effet la progression du film met en exergue à a fois la souffrance du manque et la conscience de la métamorphose. Car la guerre change les hommes. "Ce que tu aimes vraiment ne te sera pas ravi" écrit Antonio après avoir avoué que la fréquentation de la violence l'a endurci. Quelques mois plus tard : "Je ne vaux rien mais peut-être que mes projets et mes rêves valent quelque chose". Antonio décrit également l'évolution d'une conscience politique, plus affirmée au contact de l'absurdité du conflit. Il faut saluer le beau travail de Joao Ribeiro, directeur de la photographie qui a composé avec le réalisateur une image noir et blanc magnifique. Dans les espaces intérieurs et restreints ce sont les contrastes qui sont privilégiés rejoignant parfois des effets expressionnistes (un travail qui rappelle le Tetro de Coppola). Les grands espaces composent davantage des camaieux de gris, des ciels si lourds que l'horizon semble peiner à les supporter. Les séquences d'aube et de fin du jour sont saisissantes de beauté. Cet Antonio "tapissé de silence" c'est Miguel Nunes qui l'incarne tel un spectre dont le clair regard abrite espoir et résignation. La guerre transforme le psychiatre en chirurgien mais n'a pas de prise sur le sentiment amoureux au contraire exalté par la magnifique langue de Lobo Antunes qui s'y dédie comme le naufragé à la bouée. Lettres de la guerre fait partie de ces trop rares films qui ne trouvent leur accomplissement que dans le regard (et l'écoute) du spectateur dont l'imaginaire est constamment sollicité par l'évocation d'un hors champ fertile. C'est l'histoire d'une attente infinie dont les deux magnifiques premiers plans fixes, une contre plongée puis une plongée verticale évoquent la structure d'un sablier, symbole tout à fois de la durée et du rythme. Chaque lettre est un grain de sable, un fragment et une éternité.

FxThuaud
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le 15 avr. 2017

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