Tire-larme pour sauveurs blancs et sauveuses blanches

J'avais entendu parler de ce film comme d'un chef d'œuvre à sa sortie mais je l'avais complètement oublié quand je suis tombée dessus sur Netflix récemment. Franchement, j'ai failli arrêter au bout de 5 minutes tellement c'était atrocement bourre de cliches sur l'Inde de base. J'ai finalement persévéré et je dois dire que je ne regrette pas tant ce film est la représentation cinématographie même de ce que veut dire le complexe du sauveur blanc (et sauveuse blanche bien sûr, parce qu'alors la Nicole Kidman devrait avoir un Oscar pour son rôle cliche de femme blanche déconnectée qui veut sauver les pauvres enfants malheureux du Tiers-Monde)...

La première partie déjà, un petit garçon né dans une famille très pauvre se perd dans une Inde qui cumule tous les cliches dont raffolent les Occidentaux :

- c'est un pays tellement grand et "surpeuplé" qu'il est évidemment très facile de s'y perdre complètement dans la foule d'adultes indifférents (et déshumanisés je rajouterais)

- il y a la misère partout donc les seules personnes qui se soucient que des enfants finissent a la rue sont des trafiquants malveillants qui veulent les réduire en esclavage (il y a une seule personne indienne qui lui vienne vraiment en aide, le businessman qui mange avec sa cuillère, allez on va dire que c'est déjà ça)

- les orphelinats sont débordés d'enfants et sans ressources donc la SEULE solution de salut est de leur trouver une bonne petite famille occidentale pour les extraire de la misère de toute une vie/tout un pays.

Tadam!!! Les sauveurs blancs Australiens arrivent pour offrir un monde meilleur au pauvre petit enfant perdu, il faut dire qu'ils ont même une télé donc l'enfant sera garanti un avenir meilleur ("tu sais ce que c'est une télé Saroo?"). Au cas où vous espériez que la famille ce soit un tant soit peu renseignée sur le passe de l'enfant, visiblement pas. Ils ne connaissent visiblement rien de l'Inde et n'ont apparemment pas juge utile d'apprendre sa langue natale (l'Hindi) pour pouvoir communiquer avec lui. Saroo, en revanche, a été spécifiquement entraine par l'orphelinat pour bien se tenir dans une famille blanche avec des couverts en argent... ok...

Spoiler: on se retrouve donc avec une scène particulièrement hallucinante, la scène du bain, ou Nicole Kidman explique en anglais au jeune Saroo (qui donc ne comprend pas) à quel point quand il saura parler anglais, elle sera à l'écoute de son histoire et que vraiment, elle sera toujours, toujours là pour l'écouter.

L'ironie de cette scène est juste incroyable.

On passe sur l'adoption par le couple d'un deuxième enfant Indien issue d'une autre famille qui devient donc le frère de Saroo par adoption. Ici, on rajoute dans les cliches, le pauvre enfant est traumatisé et donc "complique à vivre" pour la famille blanche qui pourtant fait tout son possible pour lui donner une chance. Pendant tout le film, le frère en question est traite comme problématique et surtout faisant le malheur de sa mère qui ne l'a tellement pas mérité la pauvre (ben oui, le but de ces deux enfants est quand même de rendre la femme blanche sans enfants comblée, z'ont pas honte de lui faire du tort!)...

Saroo arrive à l'université et commence à s'intéresser à son passe (première fois qu'il rencontre d'autres Indiens qui lui offrent une autre perspective). On passe sur sa relation amoureuse sans grand intérêt si ce n'est qu'il devient assez évident qu'il se sent incompris. A ce moment, le film pourrait s'autoriser une lecture un peu critique du chemin parcouru, une remise en question du parcours d'adoption, franchement on en a vu et revu des enfants adoptes qui se rebellent contre leurs parents adoptifs, ça pourrait être l'occasion de questionner un peu le récit dominant d'une vie meilleure blablabla. Mais non, là encore, le souci ultime de Saroo est de rassurer sa mère sur le fait qu'il la considère bien comme sa mère, qu'elle n'a rien fait de mal, que c'est pas de sa faute. D'ailleurs, tous les autres personnages ne cessent de lui rappeler à son rôle d'enfant-pansement : ta mère a besoin de toi, ta mère est triste, etc etc. (Pas beaucoup qui se soucient d’avoir des conversations avec lui sur son vécu, son adoption, etc).

Spoiler: 2e scène la plus hallucinante du film. Saroo, après avoir caché à sa mère adoptive ses envies de retrouver sa famille biologique, finit par lui en parler. Ce à quoi elle lui avoue dans une scène mélodramatique clairement raciste, que pendant son enfance difficile à 12 ans, elle a eu une vision d'un enfant "a la peau brune" qui venait la sauver et c'est donc pour ça qu'elle a adopté lui et son frère... OK, donc en fait, la meuf a eu une hallucination a 12 ans du coup elle s'est mise en tête d'adopter n'importe quel enfant a la peau brune... franchement, dites-moi que je suis pas la seule à trouver ca délirant comme scène ?! Bien évidemment, le pire dans tout ça est que ça rassure Saroo sur le fait qu'il était bien un enfant désiré, ouf, il peut partir tranquille...

Bref, Saroo finira bien par retrouver sa famille biologique dans un mélodramatisme holywoodien que pour le coup tout le monde reconnait. Personnellement, ce qui m'a le plus brise le cœur dans la scène finale c'est qu'il ne sache plus parler Hindi et donc ne puisse plus communiquer avec sa propre mère, genre on en parle de la responsabilité de sa famille adoptive là-dedans ?

Au final, je recommanderai quand même de voir ce film avec un regard critique bien évidemment parce que malgré tout il en dit énormément sur le système d'adoption internationale et la manière dont on met la pauvreté et l'Inde a l'écran. Tous les ingrédients sont d'ailleurs présents pour souligner toutes les problématiques que je viens de citer, malheureusement a aucun moment le discours dominant du film offre une perspective alternative (même pas dans les yeux d'un des personnages). Tous les enjeux finalement les plus intéressants de cette histoire vraie par ailleurs incroyable et rocambolesque sont balayes sous le tapis du Happy Ending holywoodien, il y a tellement de violons qu'on ne peut même plus s'écouter penser.

ouaillenot
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le 25 août 2022

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