Dans l'Hollywood naissant des années vingt, le scénariste, aux côtés du producteur, était un monstre sacré, le seul aux commandes d'un récit au centre de toute oeuvre du septième art. Aujourd'hui la côte ouest a muté et le cinéma est considéré un art avant tout visuel, braquant le projecteur sur le réalisateur. Rencontre avec François Verjans, la plume ombragée à l'origine de Little Glory

Malgré ses occupations louches et sa jeunesse fougueuse, Shawn se sent capable d'élever seul sa petite soeur. Rendu orphelin à la suite d'une chute malencontreuse de leur père constamment bourré, le binôme fraternel risque de se voir séparé, une gentille tante convoitant la garde de la jeune fille. Les cent mille balles légués à la sista constituent une motivation supplémentaire, à n'en pas douter. S'agirait-il de son moteur principal ?

L'enjeu de l'argent, legs dont seule la petite soeur peut jouir, neutralise tout sentimentalisme au coeur du scénario de Little Glory. François Verjans, auteur de celui-ci, a le mérite d'être parvenu à imposer un scénario déjà écrit, sans qu'il soit lui-même le réalisateur du projet ou qu'il s'agisse d'un travail de commande. « C'est quelque chose de très rare, surtout dans le cinéma belge ». L'oeuvre, de par le parler très « gangsta US » de ses protagonistes, dégage une esthétique particulière, totalement inhabituelle au sein du septième art du plat pays. Evidemment, le scénario était écrit en français. C'est au producteur qu'a incombé sa traduction aux talentueux acteurs, et ce au coup par coup. « Cette recontextualisation aux Etats-Unis provient de Lannoo, le réalisateur, nous confie François Verjans a utour d'un café. Il voulait éviter d'être vu comme le fi-fils aux frères Dardenne, de filmer Charleroi sous la pluie une Xème fois. Il ne s'agit pas de juste mettre en scène des pauvres, de la misère sociale, mais une relation frère-soeur délicate ». Développée avec maestria et crevant l'écran, cette dernière est très réussie. « De plus, cela permet une exportation internationale si le public est avec nous et, de toute manière, ça sied mieux aux personnages. »

Et ces personnages, qu'est-ce qu'ils peuvent être touchants. Leur psychologie sonne juste, et si l'émotion est plus d'une fois de la partie, grâce à la petite amie de Shawn notamment, la dure réalité nous explose régulièrement en pleine gueule. « Le héros réagit comme un mec mou-amoureux : il se rend compte qu'il aime sa soeur quand on menace de la lui gauler », explique le scénariste. L'équilibre entre ses réactions de dur à cuire et celles guidées par son coeur de grand frère permet un attachement du spectateur. Certes, des relents de mélo se font parfois sentir et la fin ambiguë en blasera certains, mais l'histoire suscite la passion. La force de ce récit ne doit pas être sous-estimée. Tout comme le rôle d'un scénariste. Tout public lambda prête avant tout attention à l'histoire que narre un film bien avant de réfléchir à la manière dont ses plans ont été cadrés, à la façon dont ses acteurs ont été dirigés. Paradoxalement, ce sont les réalisateurs qui, depuis de nombreuses années, sont mis en lumière par les médias ou au sommet des affiches. « Cela fait trente-cinq ans que ça dure... », lâche nonchalamment Verjans avec sourire.

Boris Krywicki, septembre 2012 pour Le Poiscaille n°24
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le 23 janv. 2015

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