Le road movie peut-être un genre cinématographique déstabilisant pour le spectateur, parfois, et offre des avantages indéniables au réalisateur, mais il convient aussi de souligner bon nombre de risques encourus quant à la stabilité du récit qui en découle. À la manière d’Ulysse, les personnages du road movie sont confrontés à un objectif qu’ils devront atteindre par la réalisation d’un périple plus ou moins semé d’embûches et d’épreuves. Dans ce genre de structuration d’un récit, le rythme est le plus souvent ponctué par des étapes, des pauses prévues (ou non), et un certain nombre d’épreuves à passer. La réussite de ce genre de pitch, ne peut être assurée que par la richesse et le développement de la personnalité des personnages et la façon dont ils évoluent mutuellement. On peut même assister dans certains cas à voir se confronter des individus que tout oppose à première vue, condamnés en un sens à partager des expériences de manière assez inattendue pendant un temps donné. C’est tout à fait le cas ici. 

Une autre des caractéristiques principales du road movie, c’est de dénuer le film de toute attache géographique : les personnages sont pris en otage par une volonté d’aller quelque part atteindre un but comme un trophée ou un titre à décrocher pour un athlète. Alors certes, le visionneur aura quelques indications de lieux ou d’étapes du périple, mais pas forcément de références directes. Le paysage défile à grande allure et les personnages avancent de lieu en lieu, mais n’entretiennent aucune familiarité avec ces différents endroits. Nous avons simplement la certitude d’un déplacement volontaire d’un point A à un point B et une confrontation de personnages qui garantit un cocktail explosif. On note aussi le plus souvent une absence totale de présentation du quotidien des personnages, il n’y a pas de rituel dans le film, pas d’endroits où chaque protagoniste aime flâner, passer le temps, il n’y a pas non plus de lieu de travail, et nous n’assistons à aucun moment de partage familial.


Car c’est justement le gros problème de la famille Hoover. Un manque évident de complicité entre ses membres, un déchirement sentimental évident, une ignorance de l’autre et une méfiance soutenue par des préjugés. Chaque membre de la famille témoigne d’une personnalité forte et unique et renvoie éventuellement un portrait peu flatteur de certains maux de nos sociétés contemporaines. Le grand-père est un drogué, le père présente un ego surdimensionné et sa trop grande confiance en lui développe un handicap certain qui l’empêche de concrétiser ses projets professionnels, l’oncle homosexuel est dépressif et à des tendances suicidaires, le fils aîné (en pleine crise d’adolescence ?) cherche à s’engager dans l’armée mais à un comportement instable et imprévisible, et la petite fille cherche à se faire une place dans un concours de beauté. Finalement, seule la mère de famille semble exempte de problèmes personnels et on pourra presque qualifier son rôle dans le film comme celui d’un arbitre familial. Son seul problème, si toutefois on devait en trouver un, ce serait sa famille elle-même en fait.


On notera donc plusieurs problèmes sociétaux pointés du doigt dans ce film, présentés par les personnages principaux qui visent à donner une vision critique de nos sociétés contemporaine et plus spécialement celle des USA : la consommation abusive de la drogue et la facilité de son achat ; l’homophobie et les difficultés des personnes gays à assumer leur sexualité et à trouver une légitimité d’existence sociale dans leur propre entourage ; la vision utopique de l’ « American Way Of Life » qui fait rentrer chaque citoyen dans un moule social déconcertant ; une jeunesse peut entendue, rabaissée et destinée à un avenir déjà écris et apparemment sans issue, et l’image effrayante d’un système stéréotypé des genres qui forme un monde rempli de normes, de codes et qui dicte notre façon de penser.


D’ailleurs, la participation au concours de beauté, qui est le but précis de leur périple, est en contradiction totale avec l’hétérogénéité des personnalités que constituent les membres de la famille Hoover. Car ce concours représente le summum de ce que l’Amérique idéaliste prône : une population soumise à la compétition, à la comparaison de l’individu et qui contribue en un sens au développement d’une ségrégation sociale cruelle et dangereuse. Ici on remarque bien que l’enfant, déjà, est noyé dans un environnement qui l’amène à être dans un système de classification, de notation où l’esthétisme prend un sens écoeurant.


Néanmoins, la façon dont le scénario est orienté fait que l’humour est à l’honneur dans ce film, et le décalage de certains des membres de cette famille avec leur propre existence permet des retournements de situations incroyablement tordants et rafraîchissants. Car une seule chose les unit ici, leur objectif et le minibus, ce van jaune qui leur permet d’assurer leur déplacement en famille et qui est a priori le seul élément qui permet leur réunion. Le film aurait pu être simplement une leçon ou une moralité, mais il propose autre chose, un renversement de situation et le remodelage parfois inattendu de quelques points de vue pourtant fermes des protagonistes. L’efficacité des effets comiques réside donc dans la manière d’être des personnages face à une situation d’urgence qu’ils sont contraints à gérer d’une façon tout à fait incongrue et en opposition directe avec le cadre de la société normée pourtant peinte dans le film.


Comme dans la plupart de ce genre de film, les spectateurs, au même titre que les personnages, ressortent de cette expérience avec un enseignement ou une initiation. Ici, on retiendra une volonté de la part des réalisateurs, de bousculer les clichés et les codes préétablis qui peuvent parfois créer distance et froideur dans une amitié ou une relation familiale. La qualité des jeux des acteurs est telle, aussi, que les différentes scènes, bien que parfois exagérées et caricaturales, fonctionnent très bien et l’humour noir souvent mis en lumière, apparaît alors comme une évidence. La poésie parvient à s’installer également, au rythme du développement intellectuel entre les personnages qui est lui-même enrichi par une bande-son en accord avec le voyage et l’aspect relationnel pétillant des différents protagonistes.


La qualité du film réside donc dans l’hétérogénéité des personnages et les situations drôles et cocasses que peut engendrer leur confrontation pendant un contexte spatio-temporel précis. La plupart des questionnements et des réflexions sur la vie sont ici encore actuels et c’est un film attachant dans lequel on assiste à la présentation d’une famille qui cherche désespérément à se souder. Le film se goûte comme une excellente et rafraîchissante glace à la vanille dégustée par une chaude journée ensoleillée, dont la couleur jaune pop de l’affiche donne déjà toute la saveur : celle de l’histoire familiale de personnages hauts en couleur et cherchant à échapper au spectre d’une société conformiste.

Bat_Bonnin
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le 14 juin 2018

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Bat Bonnin

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