De Kim Ki-duk, je ne connaissais que son très beau "Printemps, été, automne, hiver, et printemps"... qui ne m'avait que moyennement séduite malgré son esthétisme parfait. Si je n'ai pas connu ce dernier grâce à senscritique, je ne serais certainement pas allée voir du côté de Locataires si je ne l'avais pas vu sur le site...


Locataires, c'est l'histoire d'un homme qui "passe par le mal pour faire le bien". En effet, Tae-suk entre par effraction dans des maisons temporairement vides et s'y installe le temps d'une journée, d'une nuit. Il y vit Mais l'originalité vient du fait que, dans chaque foyer où il met les pieds, il cherche à rendre service : laver du linge, réparer une balance, une horloge, un poste-radio... Cet homme nomade, mystérieux et silencieux, n'a de cesse que de trouver l'objet dont le fonctionnement fait obstacle à la tranquillité du quotidien des habitants.

[ Remarque : C'est amusant, les gens ne voient pas que quelque chose a changé quand, par exemple, un objet fonctionne à nouveau. En revanche, lorsque Tae-suk revient plus tard dans l'histoire pour apporter un infime dérangement au mobilier (donc dans l'autre sens, si l'on peut dire), les gens s'en rendent compte instantanément. Et ce "détail", anodin à première vue, est un reflet de la nature humaine. Car l'Homme a une fâcheuse tendance à énumérer ce qui ne va pas et à se plaindre lorsqu'il est malheureux, au lieu de s'émerveiller de toutes les choses que la vie nous offre et de répéter à quel point celle-ci est belle lors qu'il est heureux. ]

La manière d'agir de Tae-suk est un moyen de rencontrer des gens, d'entendre leur voix (répondeur), de voir leur visage (cadres et albums), rencontrer leur mobilier, se confronter à leur quotidien. Garder une trace et se prendre en photo partout où il va permet à ce grand solitaire d'être accompagné. Il sort de ces aventures moins seul, comme enrichi.


A chaque fois, on ne sait par quel miracle, il échappe in extremis aux familles lorsqu'elles rentrent chez elles. Jusqu'au jour où il s'aperçoit qu'une femme l'observe sans rien dire. Une belle femme qui, le visage marqué par des bleus, ne décroche jamais ce téléphone qui sonne sans cesse.
Sans un mot, elle va le suivre et l'accompagner dans ses voyages, l'observant pour l'imiter au mieux (jusque dans son silence), s'immisçant dans le cadre de l'appareil photo, se prenant au jeu.

C'est alors que naît entre ces deux êtres une merveilleuse complicité, un attachement réciproque et infiniment beau, une compréhension immédiate au-delà de toute parole...

Tout au long du film, on rêve que Kim Ki-duk tienne bon et réussisse à leur faire garder le silence. Et c'est le cas. Ce qu'on pourrait considérer comme une forme de mutisme chez eux est en fait comme un rejet de tout ce qui pourrait être superflu. Leurs regards suffisent, leur complicité est si forte qu'aucun mot ne pourrait la retranscrire. Et curieusement, là où beaucoup auraient remplacé les mots par des gestes ou des actes physiques, ce n'est pas non plus ce qui les lie vraiment. Leurs baisers ont quelque chose de doux, secret, plus puissants même que les baisers passionnés qu'on se plaît à considérer comme plus "forts". L'amour qui les nourrit au quotidien est proprement indescriptible, invisible. Et c'est grâce à cela qu'il pourra survivre.


Quand Tae-suk se fait prendre, il ne se justifie jamais. C'est comme s'il n'avait pas besoin de le faire. Après tout, il habite des maisons vides, il améliore ce qui peut être améliorer, il ne vole rien. C'est un peu comme s'il rendait à ces lieux une partie de leur âme momentanément perdue. Et il en va de même pour Sun-houa : elle est comme une maison inhabitée, désertée depuis longtemps, hermétique face aux coups portés par son mari. Il ne va pas simplement l'accompagner mais entrer en elle, l'habiter, et lui rendre cette flamme depuis longtemps disparue. C'est ainsi que renaîtront chez elle les sentiments de joie et de bonheur. Peut-on appeler ça de l'amour? Donner un sens à une vie, c'est finalement bien plus que ça...


Soulignons (et c'est bien plus qu'une parenthèse !) que ce film est un bijou d'esthétisme. Pas de secret, Kim Ki-duk nous y a habitué. Pourtant, chaque plan nous laisse encore plus stupéfait que ne l'a fait le précédent. La beauté de la nature, des couleurs, et même des gens nous laisse béats. Les photos de Sun-houa sont d'une grâce infinie, ce noir est blanc parfait lui donne un éclat particulier et la rend absolument lumineuse. De même quand l' "ordre" de la photo se trouve être bouleversé, le tout garde un charme fou, la beauté reste intacte. Ces coussins rouges sur le canapé, ces cours et ces jardins, et ce minuscule bassin où les nénuphars se courent après en donnant à l'eau qui les porte de délicats mouvements...Somptueuse photographie quand tu nous tiens...


"Il est impossible de savoir si le monde dans lequel on vit est rêve ou réalité..."

La frontière entre l'un et l'autre est très bien menée. Cet homme mi-rêve mi-réel nous surprend, nous amuse, nous séduit. Ses sourires et ses regards sont étonnamment mis en valeur par les murs nus de sa cellule. Les nuances de sadisme qui le parent ne nous inquiète en rien tant l'on garde à l'esprit les larmes qui se sont emparées de lui lors de "l'incident de la balle". Nous sommes persuadés de le connaître, et rien ne pourra nous faire oublier son infinie tendresse et sa grande générosité. Rêve, réel ? Peu importe, ce monde nous plaît, et on en redemande...


Si Printemps été automne hiver avait un propos très intéressant et était absolument irréprochable dans la forme, il n'était pas si prenant émotionnellement. Locataires nous touche et nous emmène grâce à des personnages charismatiques et des plans divins dans un univers de toute beauté. Avec Locataires, le réalisateur a confirmé toute l'intérêt que je lui portais mais gagne aussi toute ma reconnaissance et mon admiration.

Créée

le 17 juil. 2012

Modifiée

le 24 juil. 2012

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emmanazoe

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